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Un après-midi en 2011, une jeune fille a été attirée dans une boutique dans un petit bourg dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun. Le commerçant menaçait l'enfant d’un couteau et l’obligeait à avoir des relations sexuelles avec lui. La fille a été abusée sexuellement pendant plusieurs mois à l’insu de tout le monde. C’est la maman qui a finalement découvert la situation à cause de l’attitude étrange de son enfant. Plusieurs méthodes ont été utilisées par cette dernière pour contraindre sa fille sans succès à dévoiler ce qui se passait. Ce n’est que lorsque l’enfant a été conduite dans le Centre Vie de Femme de l’Association de Lutte contre la Violence faite aux Femmes (ALVF), un centre d’accueil, d’écoute et parole qui apporte une aide individuelle aux victimes de la violence, que l’intervenante a réussi à la faire parler. Ce qui a été entendu était effroyable: Ce commerçant maniaque, faisait enduire le sexe de l’enfant d’une poudre étrange, mettait une vidéo pornographique et l’obligeait à des attouchements et des actes bestiaux.
Une thérapie complète a été engagée pour la victime et l’agresseur a été dénoncé et référé au tribunal. Entretemps, l’histoire de cette fillette, âgée d’à peine 12 ans, a suscité un grand émoi dans la région. Les gens étaient choqués et dégouttés. Ils pensaient, comment cela a-t-il pu arriver ici ? L’histoire a été l’une parmi plusieurs histoires diffusées à la radio régionale pendant les 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre en 2011.
Les 16 jours est une campagne internationale qui a lieu chaque année pour commémorer les 16 jours entre le 25 novembre (la journée internationale pour la lutte contre la violence envers les femmes) et le 10 décembre (la journée des droits de l’homme). L’histoire d’activisme local pour éradiquer la violence contre les femmes et les filles dans la région de l’Extrême-Nord du Cameroun est profondément liée à la campagne. Pour nous, la campagne des seize jours d’activisme, c’est souvent l’occasion de marquer les esprits avec des témoignages poignants de victimes et d’inspirer les gens à agir.
Certains types de violence auxquelles font face les filles dans la région de l’Extrême Nord du Cameroun sont plus sournoises que ce qui s’est produit sur cette petite fille de 12 ans, tels le déni du droit à l’éducation ou le mariage précoce et forcé. J’ai déjà discuté de ces sujets sur openDemocracy. Si nous voulons que les filles habitent dans ‘la paix à la maison à la paix dans le monde’ il faut que nous ne laissions aucune pierre non retournée.
Ainsi, à chaque édition, et cela depuis 1997, l’ALVF et ses alliés ont réalisé des ambitieuses campagnes d’actions contre les violences faites aux femmes pendant les 16 jours, convaincant les sceptiques de l’incidence des violences sur la vie de la fille et de la femme. Ensemble, nous avons cherché d’impliquer un grand nombre de personnes dans actions de prévention et de rappeler l’importance de continuer à mener la lutte et de militer pour la dignité humaine tout simplement. Chaque année, les stratégies changent pour répondre aux besoins locaux, et chaque année nos actions sont de plus en plus convaincantes.
La première phase des campagnes d’actions se situe de la période allant de 1997 à 2005. L’ignorance régnait sur les types de violence dont les femmes et les filles faisaient face, alors nous avons commencé à conscientiser les gens avec la réalisation des portes ouvertes, des sessions de formation et des causeries éducatives. Nous nous sommes concentrés sur les enjeux les plus importants dans nos communautés, obtenus à partir de la synthèse des interventions réalisées au courant d’une année dans les centres d’écoute et de parole. Il s’agissait de la pratique du mariage précoce et forcé, la sous scolarisation de la fille, l’excision, les IST et le VIH SIDA. On appelle toujours cette phase ‘la phase de démystification’ où il fallait briser le tabou autour de la question.
Durant les jours d’activisme, les femmes, les hommes et les leaders traditionnels et religieux sont toujours invités aux différentes manifestations. Lors des rencontres, les participants sont alors sollicités pour analyser l’environnement, les origines, les causes et les conséquences du problème de violences faites aux femmes. A l’issue de ces séances de mobilisation, les taux de fréquentation des Centres Vie de Femmes augmentent de manière exponentielle et en même temps, des débats sont ouverts dans tous les lieux publics tels que les marchés, les rencontres des femmes ou les médias parlés et écrits.
La période de 2006 à 2007 a été marquée par l’intensification de nos interventions dans les écoles locales. Nous étions conscientes que pour lutter contre la violence contre les filles et les femmes sur un long terme il fallait investir dans la prochaine génération. Nous étions aussi conscientes de l’importance d’informer les filles de leurs droits. Pendant les ateliers, c’était déchirant pour nous de voir à quelle fréquence les jeunes enfants disaient, en toute naïveté «si, mes parents vont me marier pendant les vacances » ou «je vais seulement présenter l’examen du Certificat d’Etude Primaire (CEP), car c’est inutile de faire le concours d’entrée en sixième, papa m’a dit que je ne reviendrai plus à l’école à la rentrée.»

Séance de quiz sur les violences faites aux filles à l’école et hors de l’école, 2008
La période allant de 2008 à ce jour a connu une autre phase de mobilisation. Des ateliers de sensibilisation nous sommes passées à l’implication des élèves des écoles primaires (filles et garçons) dans les actions de dénonciation et de sensibilisation auprès de leurs parents et camarades. En 2009, par exemple, nous avons organisé des séances publiques aux écoles où les garçons et les filles dénonçaient les violences faites aux filles et aux femmes devant leurs parents et des autorités de la ville.
En 2010, l’ALVF a réalisé un concours de rédaction sur le thème « Mariage précoce et forcé » en partenariat avec nos alliés : les Brigades de Dénonciations (militants locaux qui font des interventions pour protéger les droits des filles), les enseignants et les autorités régionales du Ministère de l’Éducation de Base. 60 élèves, âgés entre 9 et 12 ans, de 15 écoles réparties dans les six principales villes de la Région - notamment Maroua, Mokolo, Mora, Kousseri, Yagoua et Kaélé - y ont participé.

Elèves en séance de dénonciation publique à Kousseri
Les enfants devaient écrire une lettre à ‘Papa Wang’, un papa imaginaire qui aurait décidé de marier sa fille élève en cours moyen deuxième année. L’une des candidates disait «Papa Wang, ne marie pas ta fille, laisses là étudier pour trouver du travail car quand tu seras vieux, elle s’occupera de toi», un autre reprenait « Papa Wang, si tu envoies ta fille en mariage, elle risque de mourir pendant l’accouchement parce qu’elle est encore très petite pour porter un bébé », plus loin « le mariage précoce et forcé est mauvais pour la fille car elle ne pourra plus jouer avec ses amies ». Les meilleurs copies ont été primées et inscrites sur les calendriers de l’année 2010. La réflexion des enfants a été d’une telle pertinence et sincérité qu’il a été décidé d’utiliser les messages collectés comme argumentaire lors des plaidoyers auprès des parents et des autorités ; on demandait qu’ils écoutent les enfants et prennent des mesures fortes pour décourager les parents convaincus encore de continuer à marier leurs enfants maintenant ainsi une pratique aussi rétrograde et destructrice.
En 2011 nous avons choisi la construction d'une « couverture de la paix » pour mobiliser les parents, les enfants et les enseignants. Plus de 400 personnes ont participé, faisant une représentation imagée ou écrite de ce qu’ils entendaient dans le mot « Paix ». Le thème de cette édition était le même de cette année « mettre fin au militarisme, de la paix à la maison à la paix dans le monde». Entre les productions il y avait des requêtes personnelles, telles, « soigner les enfants quand ils sont malades », « augmenter les salaires des parents », « éviter la divorce », « partager le travail entre les garçons et les filles » ; aussi « arrêter le harcèlement sexuel », « éviter les bastonnades », « le droit à l’éducation » et « établir les actes de naissance à tous les enfants ». Entre les dessins il y avait « une femme instruite », cœurs, maisons et arbres.

Un morceau de la "couverture de la paix"
Pour l’édition 2012, nos campagnes d’actions se focaliseront encore une fois sur la question du mariage précoce et forcé aussi bien que sur la sensibilisation autour d’autres formes de violence. Malheureusement le mariage précoce et forcé reste le principal défi dont font face les filles dans notre région. Des activités seront réalisées dans les zones périphériques de la ville de Maroua ainsi que dans les localités rurales des autres villes de la Région de l’Extrême-Nord. Des débats radiophoniques mettant en situation des experts sur la question et les témoignages des victimes qui ont survécues sont également au programme de l’agenda.
A ce jour, plus d’associations que jamais, surtout celles conduites par les femmes, ont repris à leur compte les sensibilisations sur les violences basées sur le genre. A présent, le principal défi est d’intensifier les actions de sensibilisation pour le changement des comportements vis-à-vis des filles et des femmes. Nous n’arrêterons pas jusqu'à ce que tout le monde s’approprie le slogan, «Tolérance zéro pour toute forme de violences faites aux filles ; aux femmes également dans tous les espaces » et nous rejoigne dans la mission de lutter pour un monde meilleur sans violence d’aucune nature où les femmes et les hommes vivent ensemble en toute égalité et dans le respect mutuel.
La route sera longue, mais nous avons vu au cours des années que la communication intensive autour des violences faites aux filles et aux femmes contribue à modifier de manière perceptible les comportements des populations. Elle change aussi la manière dont les autorités répondent aux droits des filles, notamment celles en charge des décisions politiques et stratégiques. La commémoration des 16 jours par le gouvernement Camerounais depuis 2009 est preuve de l’efficacité de l’activisme des femmes.
Pourtant il y a du travail à faire pour inciter les politiques à l’action concrète. Chaque acteur doit jouer véritablement son rôle dans la lutte contre la violence contre les filles et les femmes, mais en dernier ressort, c’est l’Etat qui détient le pouvoir coercitif capable d’obliger les gens à se conformer à la loi. Nous avons besoin d’une stratégie globale, opérationnelle et nationale de lutte contre les violences faites aux filles et aux femmes qui réponde aux besoins de prévention et de réponse. Nous demandons aussi au gouvernement d’introduire des procédures d’interventions précises et claires comportant des procédures standards d’intervention pour tous les acteurs intervenant dans les processus de la prévention ou de la réponse. Il est temps que nos gouvernants reconnaissent les violences faites aux femmes comme un véritable problème de santé publique, une épidémie que nous ne pouvons pas accepter, quelque chose d’intolérable. Les filles et les femmes ont droit à un environnement sécurisé et les enfants méritent un avenir sans violence.
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