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Burkina Faso: " Restons Debout "

Les agricultrices du Burkina Faso sont en train de s’organiser pour dénoncer les politiques agricoles erronées adoptées par l’Etat. Définies davantage pour répondre aux impératifs des grandes puissances mondiales, ces politiques ont omis de prendre en considération les besoins et les aspirations de celles qui nourrissent le Burkina Faso, aggravant ainsi la faim, dit Mariamé Touré Ouattara

Mariamé Touré
19 September 2011

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Pour comprendre les causes de la faim en Afrique de l’Ouest il n’est point besoin d'aller chercher très loin. Mon pays, le Burkina Faso est l’un des pays les plus pauvres du monde. Selon les données nationales, le pays a enregistré un taux de croissance annuelle moyen de 5,1% sur la période 2000-2009. Mais cette performance macroéconomique ne s’est ni traduite par une réduction de la pauvreté ni par une diminution des inégalités et la faim s’est exacerbée. Pour expliquer la raison de cette situation je vais élaborer une analyse verticale, parce que pour moi les causes ne viennent pas du tout des producteurs et des productrices. En effet, si on prenait en compte justement les producteurs et les productrices, je crois qu’on n’aurait pas eu faim.

A l’instar des autres pays africains, le Burkina Faso a connu les effets des crises mondiales alimentaires, énergétiques et économiques. Tous les secteurs de production ont subi des bouleversements importants, laissant les plus pauvres dans le désarroi. L’agriculture, secteur clé de l’économie burkinabé qui emploie plus de 80% de la population active et contribue à hauteur de 32,5% au PIB, a été également secouée, mettant ainsi à rude épreuve les initiatives en cours pour mettre en œuvre la sécurité et la souveraineté alimentaires.

L’Etat burkinabé a adopté plusieurs mesures pour faire face à ces crises. Malheureusement, ces mesures visant à répondre aux impératifs des grandes puissances mondiales n’ont pas pris en compte les réalités du terrain, à savoir les préoccupations profondes de la grande majorité des populations. Par exemple, le pays a adopté une stratégie nationale pour le développement rural en 2008 et une loi foncière sur la ruralité en 2009. Cependant, malgré l’approche participative prônée par les techniciens mandatés par l’Etat, on relève que les besoins et préoccupations profondes des producteurs et productrices sont très peu ou pas pris en compte dans ces processus et dans le contenu de ces documents nationaux.

Il n’y a pas de véritable intégration entre les réalités des populations et les exigences internationales. Par conséquent, au Burkina Faso, nous avons donc un gros manque à gagner dans la production céréalière, ayant conduit ces dernières années à une exacerbation de la faim. Ce n’est pas que ces producteurs et productrices soient incapables de produire en quantité; mais malheureusement ces personnes soient dans un système politique qui ne leur permet pas d’affirmer pleinement leur potentiel. Ils ne sont pas impliqués dans les discussions, dans les débats et décisions politiques donc ils/ elles se sentent exclu(e)s du système alors qu’ils en sont des acteurs clés. De plus, ils/ elles ne comprennent pas toujours le processus décisionnel politique dans ces domaines. Ils subissent ainsi davantage les effets de ces choix politiques. Voilà,  pour moi le cœur du problème se trouve au niveau politique.

Le rôle des femmes dans la sécurité alimentaire

La nouvelle stratégie nationale de développement rural ne tient pas compte du fait que la production agricole au Burkina Faso repose sur un modèle traditionnel qui se heurte au fait que 80% des actifs agricoles sont aujourd’hui des femmes. La production agricole au Burkina Faso est fondée sur un système d’exploitation familiale où l’homme est l’exploitant et la femme constitue la main d’œuvre avec les enfants. L’homme est chargé de pourvoir aux ressources alimentaires et aux revenus de la famille. La femme doit quant à elle veiller à la gestion rationnelle en libérant « son génie créateur » pour la transformation, la conservation, et la consommation saine et équilibrée pour toute la famille. Elle a donc accès aux ressources alimentaires sans en avoir pour autant le contrôle. Cependant, dans le contexte actuel, beaucoup de femmes rurales doivent faire face à un double fardeau, et c’est pour cela qu’elles demandent la révision du modèle. Les nombreuses mutations socio-économiques (dislocation de la solidarité traditionnelle, divorces, veuvages, paupérisation croissante) ont transformé cette répartition. De plus en plus de femmes doivent ainsi remplir les deux responsabilités pour assurer leur propre survie et celle de leurs enfants. Les femmes sont donc le moteur méconnu de l’agriculture burkinabé.

Dans ce nouveau contexte d’interversion brutale des responsabilités entre hommes et femmes, de prise de conscience plus grande des femmes de leur rôle capital dans l’alimentation, celles–ci se battent pour améliorer leurs conditions et leur position de productrices, de gestionnaires et de nourrices des familles et des communautés. Elles s’organisent en associations (comme l’Association des productrices de riz de Banzon), et en coopératives. La Coopérative des femmes étuveuses de riz dans l’Ouest du Burkina Faso, composé d’un millier de femmes scolarisées et non scolarisées, très organisées, engagées et conscientes de leur potentiel à provoquer des changements pour accéder facilement aux facteurs de production tels que la terre, les équipements, la formation et les intrants est un bon exemple. De nombreux groupes de ce genre ont pu obtenir des parcelles plus importantes en faisant pression auprès des chefs coutumiers. Leurs besoins au sein de ces organisations s’expriment davantage en termes d’intensification de la production agricole pour les céréales. Cela appelle à l’accès sécurisé aux parcelles qui reste fortement tributaire de la reconnaissance et de la valorisation des femmes rurales comme citoyennes à part entière et comme productrices capables de gérer une exploitation familiale. Alors, c’est un grand défi: comment sécuriser les droits fonciers en général et ceux des femmes rurales en particulier ? 

Les grands défis pour les femmes rurales en tant que productrices portent sur le moyen d’assurer une production intensive et pérenne des cultures vivrières. Comment assurer une sécurisation foncière? Et comment être valorisées dans leurs fonctions nourricières? A échelle réduite voilà le défi pour chaque femme. Et à l’échelle de l’organisation,  les femmes veulent avoir des terres cultivables, de bonne qualité, de grandes superficies. Elles veulent accéder à des équipements et à la technologie agricole; elles veulent avoir des formations et de l’encadrement pour produire davantage que ce qu’elles ne produisant déjà. Malheureusement, comme les femmes subissent déjà un déséquilibre par rapport aux hommes dans l’accès à la terre, cela signifie qu’elles seront davantage frappées par l’accaparement des terres par les agro-businessmen et agro-businesswomen et par les investisseurs étrangers avec la complicité de l’Etat Burkinabè. L’Agrobusiness est un concept en vogue au Burkina Faso par lequel les hommes et les femmes riches du pays vont accaparer les terres fertiles dans les zones rurales pour y développer des cultures de rente et pour pouvoir exporter certaines denrées telles que les fruits, le sésame ou d’autres produits sur la demande de firmes étrangères. Nous lisons régulièrement dans la presse que l’Arabie Saoudite a acheté d’énormes superficies de terres cultivables pour y produire du riz et plusieurs membres du gouvernement possèdent de grandes superficies de terres dans les zones les plus riches du Burkina Faso sans être agriculteurs! La politique foncière nouvellement adoptée encourage le développement de ces phénomènes déstabilisateurs.

Levons-nous

Chaque femme a bien intégré l’adage « si nous nous couchons, nous sommes morts ». Voilà le mot d’ordre que les femmes se sont données : Levons-nous et battons-nous. Il y a même des associations qui se sont baptisées « Restons Debout », parce que quand tu es debout tu peux marcher et tu peux courir. Mais quand tu es couché, tu mettras plus de temps pour t’asseoir, puis te mettre debout. Cela est donc plus difficile. Voilà le symbole qui caractérise les organisations des femmes, qui montre à quel point les femmes sont engagées: « Get up and stand up for our rights ».

Sur le plan social les femmes font face à deux types de domination. La première, dictée par le mode de socialisation patriarcale, établit que toute femme doit répondre d’un homme. Toute femme est sous la domination d’un homme qui peut être son père, son frère, son fils, son mari, ou bien les quatre à la fois. Il faut donc qu’elle travaille pour se libérer de cette domination protéiforme. La seconde domination provient des décisions politiques, qu’elles soient locales ou nationales. Souvent les décisions politiques ne prennent pas en compte une bonne partie de la population : les femmes. Elles doivent donc se confronter à ces deux dimensions pour pouvoir se faire entendre. C’est la raison pour laquelle elles ont décidé de s’organiser.

Elles pensent justement qu’en créant ces unions, dénomination des organisations faîtières, cela leur permettra de mieux jouer leur rôle dans toute la chaîne alimentaire, de la production à la consommation. Elles produisent; elles conservent; elles transforment pour que la nourriture soit disponible à toutes les périodes de l’année; c’est elles qui orientent, qui composent le menu et définissent les rations dans les familles. Malheureusement cela ne fonctionne pas toujours parce qu’il y a une peur au niveau des dirigeants étatiques majoritairement hommes, tout comme si les femmes se réveillent le pays va trembler! Si les femmes se soulèvent brutalement pour faire front, elles peuvent échouer. Donc elles agissent stratégiquement, doucement mais sûrement, avec des actions qui vont convaincre les hommes à moyen et long termes. De telles actions font appel à leur grande compréhension de la sécurité alimentaire.

Les femmes sont conscientes de la question alimentaire parce que ce sont justement elles qui, au quotidien, essayent d’appliquer la sécurité alimentaire. Dans toutes les familles, on enseigne très tôt à la petite fille de savoir garder pour le lendemain. C’est le début de la sécurisation alimentaire. Et donc quand les femmes produisent, elles ne vendent pas tout. Elles veillent à préserver une partie pour plus tard. C’est déjà le principe de la sécurité alimentaire. Elles s’organisent aujourd’hui pour développer par exemple des banques de céréales, véritables greniers ou magasins qu’elles créent pour stocker des céréales en cas de période difficile durant lesquelles ces céréales sont vendues à un prix très social, pour que tout le monde puisse avoir à manger. C’est cette stratégie de sécurité alimentaire qu’elles veulent renforcer.

Par ailleurs, elles cherchent à diversifier la production céréalière tout en ayant le choix des variétés. En plus du riz, par exemple, qu’elles puissent faire le maïs, le petit mil et le jardinage pour les légumes. Mais elles le font déjà à très petite échelle. Malheureusement, le pouvoir local ou le pouvoir national, portent très peu d’attention à ces stratégies et aux préoccupations des femmes rurales. Or pour moi, en terme de stratégie de sécurité alimentaire, il faudra associer ces femmes aux débats et aux choix stratégiques parce qu’elles en savent. Elles en ont dans leurs têtes; elles en ont dans leurs cœurs. Il faut leur donner la parole.

Dans nos propres mots

Il y a toujours entre elles et l’espace public l’homme qui doit donner son autorisation. Alors, les stratégies qui sont à développer doivent aussi cibler les hommes pour les rendre complices et complémentaires aux femmes, et leur dire que l’action des femmes peut profiter à tout le monde.  Donc pour mieux cibler la sécurité alimentaire j’insiste: il faut donner la parole aux femmes.  En fait, on parle en leur nom. On agit en leur nom. On utilise leur situation dans les débats intellectualistes et politiques alors qu’elles pourraient le dire elles-mêmes. 

Je donne un exemple: en 1999, Nagbila Aisseta, une femme rurale burkinabè, a accepté le Prix de Leadership pour l’Afrique, décerné par le Hunger Project aux « agricultrices africaines». Il s’agissait d’une paysanne de 35 ans qui n’avait jamais quitté son village et qui n’était jamais rentrée dans une voiture, qui ne connaissait rien de la ville moderne, mais qui avait développé petit à petit des initiatives pour créer une grande organisation qui pratiquait l’élevage, de l’agriculture, et du maraîchage pour lutter contre la malnutrition dans sa localité. Elle devait recevoir le prix au siège des Nations Unies où on lui a demandé de préparer au préalable son discours dans la langue nationale, Mooré, pour qu’il soit ensuite traduit en anglais et qu’elle ne le prononce pas. Pendant la cérémonie, une autre personne aurait donc fait ses déclarations à sa place. Elle a dit « Non. Si c’est moi qui ai reçu le prix, je dois m’adresser directement à ceux qui m’ont donné le prix, parce que dans mon éducation, quand on remercie c’est toujours directement et sans intermédiaire ». Et elle a demandé aux Nations Unies de trouver un interprète burkinabé qui comprend le mooré et l’anglais pour assurer l’interprétation simultanée. Et c’est ce qui a été fait.  Elle connaissait bien ses droits, en l’occurrence, le droit à la parole!

Quand est-ce qu’on va laisser la parole libre aux femmes du Burkina Faso pour qu’elles disent qu’est-ce qu’elles vivent, ce qu’elles veulent, ce qu’elles peuvent faire et quels sont les savoirs et les savoirs-faire qu’elles veulent partager?  Par rapport à la sécurité alimentaire je suis convaincue que les femmes ont beaucoup de choses à partager. Partout en Afrique de l’Ouest, je suis assurée d’une chose: les femmes ont des stratégies pour la sécurité alimentaire et donc contre la faim; il faut leur donner la parole.

Cet article a été traduit en français par Jennifer Allsopp à partir de l’article original anglais.

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