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La faim et le patriarcat au Cameroun

Les femmes de la région de l’Extrême-Nord du Cameroun sont confrontées à une combinaison difficile de violence et de faim. Tant que les femmes seront sous l’emprise de ces formes de violence – y compris le déni du droit à la nourriture - elles seront des non-citoyennes, dit Aîssa Ngatansou Doumara.

Aîssa Ngatansou Doumara
2 October 2012

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Selon la FAO (l'Organisation des Nations Unies pour l'Alimentation et l’Agriculture), « tout être humain, tout citoyen ou citoyenne d’un pays ordinaire a droit à l’alimentation nécessaire à sa survie ; chaque femme, homme et enfant, seul ou en communauté avec d’autres, doit avoir physiquement et économiquement accès à tout moment à la nourriture en qualité suffisante ou aux moyens de se la procurer ». Pourtant, la réalité pour les femmes de l’extrême-nord du Cameroun, victimes ou ayant survécu à des violences, est tout autre. De 1996, date d’installation de L’Association de Lutte contre les Violences faites aux Femmes de l’Extrême-Nord (ALVF. EN) dans la Région, des milliers de femmes sont venues solliciter du soutien. Les obstacles qui empêchent ces femmes de se mettre à l’abri du besoin de nourriture et de jouir pleinement de leur droit à l’alimentation sont nombreux et difficiles à surmonter. Leur faim est largement fonction de la nature patriarcale de la société camerounaise.

La Région de l’Extrême-Nord du Cameroun est une zone à prédominance patriarcale où des discriminations sont encouragées par le poids des us et coutumes, par l’ignorance des lois et par la confusion entre religion et tradition locale. On assiste alors à la coexistence de deux systèmes judiciaires : le droit positif écrit et la coutume. Dans ce contexte, le statut d’être inférieur conféré à la femme socialement est accepté et entretenu par le système patriarcal. Il s’en suit une situation de quasi dépendance économique de la femme, liée à son faible pouvoir d’achat et un difficile accès à toutes les ressources au premier rang desquelles l’accès à la terre et au crédit.

Selon une enquête du réseau Dynamique Citoyenne, dans la Région de l’Extrême-Nord du Cameroun en 2009 plus de 2 habitants sur 3 vivaient avec moins de 200 F CFA (0,42 dollar) par jour et en 2007 39,9% de la population nationale vivait encore en dessous du seuil de la pauvreté. Cette tendance est encore plus marquée dans les zones rurales où 55% des habitants vivant sous le seuil de pauvreté sont des femmes. Cette étude confirme la règle généralement admise que dans toute l’Afrique subsaharienne les populations et plus particulièrement les femmes sont trop pauvres pour se procurer une nourriture en quantité et en qualité suffisante. Cette situation est encore pire pour les femmes victimes de violences.

 ALVF

La vie d’une femme victime ou ayant survécu à des violences s’apparente à représentative du principe de déni des droits. 'Centre Vie de Femmes', Maroua. Photo: ALVFLe plus souvent, il lui est difficile d’accéder aux besoins de base, notamment en matière d’habitation, de couverture médicale, d'habillement et surtout d'alimentation. Je me souviens bien du jour où une jeune femme, la vingtaine passée, est arrivée dans le centre d’écoute et de parole de l’ALVF.EN où je travaille, tenant dans ses bras un bébé à peine âgé de quelques jours. Ses besoins et sa demande étaient formulés clairement: elle avait faim et voulait manger quelque chose. Ensuite, elle souhaitait que nous l’aidions à retrouver son partenaire et à le contraindre à s’occuper d’elle et de son enfant. Un autre jour, une jeune maman est arrivée au Centre, et à peine avait-elle franchit l’entrée qu’elle a réclamé une natte pour pouvoir s’allonger. Une fois rendue à l’hôpital, elle a été diagnostiquée comme victime de sous-nutrition.  

Les Camerounaises sont dépendantes des membres masculins de leur famille, ce qui explique qu’elles n’ont accès à rien, notamment aux ressources tels que les capitaux, les technologies, l’eau potable, la nourriture et la terre pour la cultiver elles-mêmes. Bien que l’Etat garantisse le droit à l’égalité des femmes et des hommes en matière d’héritage et d’accès à la propriété foncière, comme expliqué dans l’ordonnance N0 74-1 du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier, il n’en demeure pas moins que ces textes de lois sont désuets et leurs contenus très opaques, et de ce fait difficiles à interpréter.  

Les camerounaises qui évoluent dans un monde rural travaillent parfois dans des conditions difficiles sur des parcelles de terre qui ne leur appartiendront jamais pour cultiver des produits alimentaires comme les céréales et les légumes. Pourtant, ce sont elles qui soutiennent l’agriculture familiale et sont garantes de la sécurité et de la souveraineté alimentaire. De plus, il faut ajouter à cette dimension un contexte culturel qui fait que la femme elle-même fait partie des biens de la communauté, susceptible d’appartenir à une autre personne, membre masculin de son entourage (époux, frère, cousin…). Face à ces défis, les femmes sont généralement exclues du droit à la terre. Ce manque d’accès aux moyens de production constitue une forme de violence faite aux femmes.

Les faits les plus communément portés à notre connaissance ont trait à des cas où la maison familiale est vendue par le conjoint, ou bien par ses frères en cas de décès de ce dernier, laissant la veuve et ses enfants dans un état de dénuement le plus total, sans un toit pour s’y abriter ni une parcelle de terre pour développer une agriculture de subsistance. Ces femmes vivent dans le silence de ces violences invisibles faites ici, au Cameroun. Le problème ne date pas d’hier, mais aujourd’hui son ampleur a pris de telles proportions qu’en 2011 les Nations Unis ont décrété le 23 juin de chaque année comme Journée Internationale des Veuves afin de sensibiliser davantage la communauté internationale à ce problème. A cet effet, des outils pour combattre les rites de veuvage avilissants ont été publiés et vulgarisé, au Cameroun, par certaines organisations comme le Cercle International pour la Promotion de la Création (CIPCRE) et  l’ALVF.

A première vue et si l’on se réfère à la loi cadre qui protège les femmes et aux politiques sociales en vigueur au Cameroun, le cadre politique semble prometteur. La politique générale du Gouvernement pour la période 2010-2035 a été déclinée dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’Emploi (DSCE). Sous le chapitre « Gouvernance et Etat de Droit », il est affirmé, « qu’en particulier, dans le cadre de la protection des droits individuels, le Gouvernement veillera à intensifier la lutte contre les violences faites aux femmes ». Au regard de cette politique, le Ministère de la Promotion de la Femme et de la Famille a annoncé en 2011, le lancement d’une Stratégie Nationale de Lutte contre les Violences Basées sur le Genre. Des séminaires de vulgarisation ont été tenus à travers tout le pays et des copies du document ont été distribuées aux associations de femmes comme la nôtre. 

La Stratégie Nationale vise à mettre en place des mesures et actions coordonnées en vue de lutter efficacement contre ce fléau. Ce document mentionne le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels,  adopté par le Cameroun le 16 décembre 1966 et ratifié le 27 juin 1994,  qui reconnait à toute personne le droit de jouir de conditions de travail justes et équitables, d’avoir un niveau de vie décent et de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible.

Cette volonté annoncée du Gouvernement suppose une prise en compte globale de tous les moyens nécessaires pour protéger les victimes et survivantes de violences et de leur assurer le droit à un niveau de vie décent, y compris le droit à la nourriture. A l’heure actuelle, il est impossible d’avoir une vue d’ensemble sur le contenu du dit document et d’apprécier son niveau de mise en œuvre. Bien que la Stratégie Nationale reconnaisse le lien entre la violence contre les femmes et le droit à la nourriture, ce rapport doit être abordé de manière spécifique. Les actions mises en œuvre par le gouvernement restent encore insuffisantes. Le gouvernement doit reconnaitre que parler de la faim renvoie inévitablement à l’alimentation, à la manière et aux ressources qui permettent de s’en procurer, aux politiques sur le foncier, à l’agriculture, à l’élevage et à la pêche ; tous ces champs qui excluent et discriminent encore les femmes.

Une des premières choses que le Gouvernement devrait faire est d’adopter et promulguer le Code de la Famille et des Personnes Physiques qui est actuellement en cours d’adoption. Puis, il devrait adopter l’approche genre dans les politiques et textes en matière d’accès à la terre et aux moyens de productions ; réviser l’Ordonnance no 74-1 du 6 juillet 1974 fixant le régime foncier et le Décret d’application établissant les conditions d’obtention du titre foncier dans une perspective de prise en compte des femmes ; mettre effectivement en œuvre la Stratégie Nationale de lutte contre les violences basées sur le genre et dérouler des programmes d’information et d’éducation à la citoyenneté prenant en compte le droit à l’égalité homme-femme en matière d’héritage et d’accès à la propriété foncière. La loi et les actions vont de pair. La première constitue le référent pour passer à l’action.

L’action des organisations de la société civile permet d’entrevoir des pistes de solutions. Plus précisément, le Mouvement Camerounais pour le Droit à l’Alimentation (MOCADA) mène des actions de sensibilisation portant sur le droit à l’alimentation et de promotion en faveur de l’amélioration des instruments régissant le droits à l’alimentation au Cameroun. Pourtant, ces solutions ne pourront se réaliser qu’avec la participation de tous les acteurs sociaux. Chacun devra jouer son rôle citoyen.

Les violences faites aux femmes doivent être combattues avec toute notre énergie car les victimes et survivantes des violences sont exclues de la quasi-totalité de leurs droits. Tant que les femmes seront sous l’emprise des violences, elles seront des non-citoyennes. La communauté internationale sera privée de plus de la moitié de son potentiel et de ses ressources humaines. 

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