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Sénégal: la terre à ceux qui la travaillent

Plus d’un quart de siècle de conflit armé, un tissu socio-économique complètement déstructuré, mais les femmes de Casamance restent debout, luttent avec succès pour avoir le droit à la terre et pour la pour la paix et le développement, dit Fatou Guèye

Fatou Guèye
16 April 2012

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Ziguinchor est une région en Casamance au sud du Sénégal. Elle est séparée du reste du pays par la Gambie. Depuis 1982 elle est en proie à un conflit qui oppose le MFDC (mouvement des forces démocratiques de la Casamance) et l’Etat du Sénégal : d’un côté le MFDC réclame l’indépendance et de l’autre l’Etat du Sénégal prône l’intégrité territoriale. La communauté rurale d’Enampor n’a pas été épargnée par ce conflit.

En 2000, pendant les moments difficiles, lorsque l’armée s’adonnait parfois à l’arrestation de toute personne supposée appartenir au MFDC, où les éléments du maquis procédaient à des enlèvements et à des braquages, et lorsque des villages étaient bombardés, seules les femmes réagirent en organisant de manière spontanée des marches dans leur village à la gouvernance de Ziguinchor. Jusqu’à présent elles sont convaincues que leurs actions contribueront largement à la résolution définitive du conflit, mais surtout à la mise en place d’un développement durable et équitable.

Convaincues que le leadership des femmes rurales peut créer de façon durable la justice économique, l’équité entre les sexes et la paix aux niveaux local, national et sous-régional, nous nous sommes investies dans la formation des femmes en « recherche-action » et dans la structuration des organisations et des fédérations de femmes au niveau communautaire dans la région de Casamance.

En réalité, la problématique du foncier est l’un des facteurs clés à l’origine et au cœur du conflit en Casamance. Les femmes, en dépit du rôle important qu’elles ont toujours joué et qu’elles continuent de jouer dans l’économie locale, ne sont pas propriétaires de ressources foncières. Dans le cadre d’une initiative de développement régional, des terres et des rizières situées dans les vallées étaient destinées aux femmes dans la communauté rurale d’Enampor. En raison de la sécheresse et de la salinisation des terres la production demeure faible. Dans ce contexte, les femmes ont compris que pour assurer la survie de leur famille il devient nécessaire de s’investir dans des activités génératrices de revenus telles que la plantation d’arbres fruitiers. De telles activités supposent quand même qu’elles aient accès à la terre des plateaux qui sont exclusivement destinées aux hommes qui les exploitent en vue de récolter du vin de palme ou mener des cultures de rente.

Voyant leur responsabilité augmenter, parce que leur mari est décédé, a migré vers une autre zone, ou a baissé les bras, les femmes ont alors décidé d’ouvrir le débat pour améliorer leur droit d’accès à la terre et donc leur statut. C’est ainsi que dans le cadre du programme WAGIC (West African Gender Inclusive Citizenship) le regroupement des femmes de l’Espace Communautaire d’Enampor, qui compte près de 1200 femmes, n’a pas hésité, lors du lancement du programme dans leur zone, à pointer du doigt la problématique de leur faible accès à la terre.

Elles ont ainsi présenté un problème dont la solution risque de bouleverser tout un système traditionnel mis en place par les ancêtres, dans lequel persiste une forte croyance au fétiche, et plus particulièrement dans le royaume Mof Awi (la terre du roi). Le royaume Mof Awi est un ancien royaume à l’ouest de Ziguinchor qui englobe le village d’Enampor.

Notre recherche démontre qu’il n’existe pas de fétiche qui interdise l’accès des femmes à la terre, même si les hommes ont maintenu le flou pour qu’elles soient, encore aujourd’hui, persuadées du contraire. Ainsi, personne ne se posait des questions et, l’hypothèse d’un fétiche interdisant l’accès des femmes aux terres des plateaux était partagée par l’ensemble de la communauté.

Un autre fétiche exigeait que les femmes en période de menstruations ne devaient pas passer dans certains endroits du royaume. A l’occasion des dernières cérémonies d’initiation pendant lesquelles les gens viennent de partout (du Sénégal et de l’Europe), les populations ont posé ce problème en soulignant la présence d’ invités venant de tous les horizons lesquels ne sont pas tenus de se conformer à ces interdits et dont les déplacements sont difficiles à gérer. C’est ainsi qu’ils ont abouti à supprimer ce fétiche.

C’est à la suite d’exemples comme celui-ci, où les populations ont réussi à supprimer un fétiche à travers une intervention fondée sur des preuves, que les femmes ont décidé de découvrir s’il existe un fétiche localisé dans le royaume qui interdit l’accès des femmes à la terre. En effet, ce sont des femmes opiniâtres et déterminées qui, par des témoignages, ont cherché à convaincre leurs sœurs de la pertinence du choix de la problématique sur leur faible accès à la terre, une illustration de l’injustice dont elles sont victimes.

Dès la première rencontre, la présentation des trois thématiques (Accès des femmes à la terre, Participation politique des femmes et Droits économiques des femmes) a suscité de vifs débats chez l’ensemble des 25 participantes (composées des présidentes de groupements membres du REFECE). Lorsque l’une d’entre elles a posé la question de savoir s’il y avait un problème plus crucial que celui de leur accès à la terre, toutes ont admis qu’il n’y en avait pas.

Les femmes sont convenues que les neuf femmes choisies, pour porter le projet de recherche-action sur l’accès à la terre des femmes de la communauté rurale d’Enampor, devaient être des femmes originaires de l’Espace Communautaire d’Enampor. Toute femme qui se sentait capable de se lancer dans cette mission pouvait déposer sa candidature afin qu’elle soit étudiée par un jury constitué de deux représentantes de la zone et de trois membres du staff technique d’USOFORAL (qui signifie « donnons-nous la main » en langue diola).

Les méthodes de recherche, empruntées aux approches scientifiques et universitaires (documentation, interviews semi-structurés, focus groupes, etc.), sont ici au service d’un projet collectif de transformation sociale positive initié pour la première fois par des femmes rurales. Le projet a déjà fourni de bons résultats.

Lors de la recherche documentaire, le groupe chargé de consulter le registre du conseil rural, où sont enregistrées les affectations de terrain, a découvert que les blocs maraîchers affectés aux femmes, les terrains qui abritent les édifices religieux et des écoles, et même le terrain qui abrite le siège de leur fédération, n’étaient pas mentionnés dans le registre. Ces terrains pouvaient être repris par le conseil rural en cas de besoin. Ainsi, les femmes ont saisi la commission domaniale du conseil régional qui s’occupe de la gestion des terres pour obtenir l’attestation d’affectation du terrain qui abrite leur siège. Elles voulaient s’assurer que le terrain leur était bien affecté définitivement car noté dans le carnet de délibération du Conseil Rural.

Parmi les chercheuses, deux ont aussi négocié chacune un terrain auprès de leur conjoint et obtenu gain de cause. Il y a au Sénégal une loi sur le domaine national qui consacre l’égalité entre homme et femme pour l’accès à la terre au nom du principe « la terre à ceux qui la travaillent ». Le groupe de recherche qui a travaillé au niveau de l’agence régionale de développement (ARD) a découvert cette loi et l’a partagée avec les autres chercheuses. Dans cette communauté rurale les terres sont gérées par les familles. Ainsi, elles ont toutes les deux partagé les résultats de leur recherche avec leur conjoint, en leur montrant la nécessité de négocier avec leur famille pour leur permettre d’accéder à des terres. Même si la commission domaniale gère les affectations de terre, elle négocie d’abord avec la famille propriétaire qui donne d’abord son accord, ensuite la commission entérine.

Pour justifier sa demande, la première a montré à son conjoint invalidé par la maladie qu’elle était seule à assurer la satisfaction des besoins de leurs enfants et que plus de terres l’aiderait à accroître les revenus de la famille. Elle lui a appris l’existence d’une loi nationale qui réglemente démocratiquement les terres, stipulant que si les hommes ne donnent pas de terres à leurs épouses, tôt ou tard avec le développement de leur communauté, l’Etat pourrait un jour affecter ces terres à des étrangers, ce qui constituerait une perte pour l’ensemble de la communauté. La deuxième s’est ainsi appuyée sur la même base juridique. De plus elle a montré à son conjoint le temps qu’elle perdait chaque année pour retourner chez ses parents, récolter les citrons, les presser pour obtenir juste la consommation familiale, alors que si elle avait un terrain non seulement elle assurerait la consommation de la famille, mais également elle pourrait en vendre pour assurer la scolarité des enfants et leurs soins de santé.

L’ensemble des chercheuses a restitué les résultats de leur recherche aux chefs de village, notables, chefs coutumiers et autres leaders de la communauté rurale. Une des conclusions clés de la recherche est que des hommes, des femmes et des jeunes sont tous d’accord pour dire que les femmes jouent un rôle fondamental dans la vie économique de la communauté, et que ce sont leurs familles qui en profitent. En plus, beaucoup d’adolescents soutiennent que leurs conditions de vie vont s’améliorer avec l’accès de leurs mères aux terres des plateaux et se disent prêts à soutenir le combat de leurs mères. Toutefois, la recherche a également montré que certains hommes et adolescents ont peur que l’accroissement des revenus des femmes, suite à leur accès à la terre, ne leur tourne la tête et les amènent à ne plus respecter leur mari.

Il y a eu deux rencontres avec les chefs de villages pour discuter des résultats et c’était dans ce contexte que le débat sur l’accès des femmes aux terres des plateaux a été posé. Lors de la première rencontre, ils ont tous reconnu que les femmes avait rendu compte fidèlement de la situation actuelle. Certains ont d’abord brandi l’argument selon lequel « mais c’est la tradition ». D’autres, plus progressistes, ont reconnu qu’il s’agissait d’une injustice et qu’il fallait la réparer, car en réalité personne n’avait jamais eu l’idée de poser le débat. Les deux camps se dont disputés et aucune conclusion n’a été tirée.

Pour la deuxième rencontre, nous avons élargi la restitution aux chefs coutumiers qui résident dans la communauté rurales et ceux qui vivent en ville, à Ziguinchor, mais qui, d’après les femmes, sont consultés à chaque fois que des décisions importantes sont à prendre. L’un d’entre eux, appartenant à la famille qui possède plus de terres et qui réside à Ziguinchor, s’est montré très sensible à la demande des femmes et s’est aligné du côté d’un enseignant originaire de la communauté rurale et d’un autre chef de village. Leurs interventions ont permis aux autres chefs de comprendre les enjeux actuels en matière d’accès à la terre. Une autre personne s’est vu confié la tâche de produire le document suivant : « Droit d’accès à la terre dans les collectivités locales : quelle place pour les femmes ? ». En effet, cette étude leur a montré le risque que court toute la communauté en ne donnant pas les terres aux femmes ; d’autres personnes venues d’ailleurs peuvent accaparer ces terres au nom de La loi N° 64-46 sur le domaine national.

Au bout de deux rencontres, les hommes ont fini par avouer qu’aucun fétiche n’interdit l’accès des femmes à la terre. En réalité, la tradition avait prédominé simplement parce que le débat n’avait jamais été posé avec une telle acuité et de manière aussi objective. Aujourd’hui, les discussions vont se poursuivre, surtout avec les populations qui ont toujours accordé une forte importance à la tradition. Ayant compris les enjeux actuels, les chefs de village se sont engagés à restituer les conclusions de la rencontre aux populations et ils ont promis de convaincre les populations, reconnaissant eux-mêmes le rôle moteur des femmes dans les activités de développement de la communauté. Une rencontre afin de faire le bilan des réactions des populations des différents villages est prévue pour le mois de décembre prochain.

Nous n’avons pas encore achevé la concertation avec les décideurs, mais l’idée de la signature d’une charte locale qui prendrait en compte la demande des femmes a déjà été acceptée par les chefs de village et les chefs coutumiers. La charte engagerait toutes les parties signataires à garantir l’accès des femmes aux terres des plateaux et aux ressources financières pour une mise en valeur de ces terres.

En conclusion, on peut dire que certes, il y a encore un grand chemin à parcourir avant d’aboutir à la signature de la charte, mais notre recherche démontre que parfois il est possible de changer la tradition. Les femmes membres du groupe ont déjà eu le mérite de poser le débat et d’arriver à des résultats que des experts de la recherche n’ont pas jusqu’ici réussi à atteindre. En effet, la recherche conventionnelle est souvent l’apanage des experts, mais à Enampor nous venons d’apprendre que pour mener une recherche action sur l’accès des femmes à la terre, il est plus judicieux de transférer la compétence aux femmes rurales.

Translated from English by Jennifer Allsopp

 

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