Nous sommes dans un lycée officiel à Lomé, la capitale du Togo. C’est la rentrée. Le Lycée a invité les parents d’élèves à une réunion pour leur faire le bilan de l’année écoulée et élire de nouveaux membres du comité des parents d’élèves. Le directeur de l’établissement demande aux parents de se porter volontaires pour intégrer des postes à responsabilités au sein du comité. Les postes sont tous attribués lorsqu’un parent se lève et interpelle vivement le directeur : « Comment se fait-il que seuls les gens du sud fassent partie de ce comité? ».
Les relations entre Togolais du nord et du sud n’ont jamais été simples. Les tensions et les frustrations telles que celles-ci ne s’expriment pas seulement dans les réunions publiques ; elles creusent un fossé profond et souvent violent dans le pays, lequel peut se manifester sous forme de discriminations, d’inégalités et de violences. A l’approche des élections qui doivent se tenir le 24 mars prochain, il est important de réfléchir à l’origine de ces tensions et aux moyens de les enrayer.
Les conflits politiques ont meurtri la population entière pendant de longues années et ont laissé des séquelles. La paix est toujours précaire. Ce ne sont plus les valeurs morales qui déterminent l'agenda politique, mais bien les affrontements entre les partis politiques, la crise économique et les maladies. Ce climat d’affirmations identitaires et ethniques entraine des frustrations, des inégalités et des injustices sociales, freinant ainsi le développement du pays. Pour comprendre comment on en est arrivé à un tel point, il est nécessaire de faire un retour sur l’histoire de notre pays.
A l’origine des tensions ethniques
En 2008, la population du Togo était estimée à 5,9 millions d'habitants. Le pays comprend une quarantaine de communautés divisées en deux grands groupes: le nord et le sud. Le nord est principalement représenté par les kabyè et le sud par la communauté Ewe et des groupes apparentés : ouatchi, ahoulan, peda, mina, guin et adja.
Le Togo a pris son indépendance à l’égard de la France le 27 avril 1960 grâce à l’action du Premier ministre Sylvanius Olympio, un Guin (c'est-à-dire qu’il vient du sud). Il fut assassiné et la présidence du pays fut prise par le Géneral Gnanssimgbe Eyadement, un kabyè (c'est-à-dire venant du nord). Dans son livre Conquêtes coloniales et intégration des peuples : cas des Kabyè du Togo (1898-1940), l'historien Noël Courrier Kakou note qu’à l’époque coloniale, les Kabyè vivaient en vase clos, et n'avaient pas de contact avec les autres peuples. Selon M. Kakou, les Kabyè étaient redoutés des autres peuples pour leur caractère belliqueux. Ce bellicisme a sans doute alimenté les rumeurs en leur défaveur colportées par leurs voisins. Ils étaient considérés comme les sauvages par les Ewé, ces derniers se considérant eux-mêmes comme un peuple « civilisé » pour avoir été proches des Européens. Le coup D’Etat perpétré à l’encontre d’Olympio ainsi que les crimes commis pendant tout le mandat du général Gnassingbe n’ont fait que renforcer ce gouffre déjà existant.
Bien qu’ils ne représentent que 10% de la population togolaise, les kabyè ont su s’intégrer dans les hautes sphères du pays et n’ont jamais caché aux Ewé leur désir d’y demeurer. Le « mindèfreinisme » (venant de l’expression kabyè « mindè frère » : « mon cher frère » ) est un mot inventé par les togolais du sud pour décrire le principe selon lequel il suffit d’être Kabyè pour avoir raison ou pour obtenir une bonne place au sein de la société.
Pour lutter contre ces injustices et contre leur faible représentation, les Ewé se sont mis à dénigrer et à critiquer tous les actes des Kabyè. Aujourd’hui, « Kablèto » (gens de Kabyè) reste l’insulte favorite des Ewé. Si vous faites quelque chose de bizarre ou d’anormal, on vous demandera si vous êtes Kabyè. Si vous avez un malentendu avec un Togolais, la première question qu’il vous pose est : « vous êtes Kabyè ? ».
Le Gouvernement prend des mesures afin de réconcilier les différents groupes, tels l’établissement d’une commission de réconciliation, créée par décret en Conseil des ministres le 19 février 2009. Cependant cette commission n’a pas su apaiser les tensions et, à de nombreux égards, a aggravé la situation. Le travail de la commission a été de recueillir publiquement les injustices commises pendant et après les périodes électorales. Les Togolais se sont mis à lister le nombre de fois qu’ils avaient été dominés. Une démarche qui a fait plus de mal que de bien.
Une autre histoire
La vérité, c’est que pour établir la paix au Togo il ne faut pas faire de bilan ni chercher à savoir qui a eu tort dans le passé. Il faut recréer l’histoire de notre pays. Il ne s’agit pas de changer le passé, chose impossible, mais plutôt de changer l’objectif fixé à notre histoire. Actuellement, l’accent est mis sur la démonstration de nos différences. Il faut supprimer cette formule restée célèbre dans nos écoles primaires: « Les éléments venus de l’est..., les éléments venus de l’ouest..., les éléments venus du nord... » qui donne l’impression que le Togo serait un pays s’étrangers. C’est là une vision bien trop schématique du passé. Quel territoire au monde n’a pas été « une terre de refuge » à un moment ou à un autre de son histoire ? A l’origine de toute nation, il y a souvent un amalgame de groupes d’origines diverses, et seule une communauté de vie sur le même territoire à travers plusieurs siècles ainsi que l’adhésion à des valeurs communes conféreront à ces groupes, jadis hétérogènes, la qualité de citoyens d’une même nation, une et indivisible.
Il est du devoir de chaque citoyen togolais de participer à la réalisation de cette vision qui est un moyen de prévenir les conflits à venir. A l’approche de l’élection il est nécessaire de former des leaders communautaires, des chefs de villages et leurs notables sur la prévention et la gestion des conflits, la préservation de la paix ainsi que sur leurs responsabilités dans les élections législatives. Nous devons les inciter à sensibiliser les communautés à la base sur la non violence et la culture de la paix. Pour atteindre ces objectifs, il faut des innovations, comme la diffusion des émissions radios pour informer les communautés reculées. Il faut faire participer tous les acteurs, et surtout les masses medias, à la décontamination de la maladie : « je suis du nord - je suis du sud ». Il faut que nous apprenions à rire de nous-mêmes (il n’y a rien de tel qu’un humour bien placé pour décoincer un homme).
Au lieu de surligner nos différences, il faut expliquer aux Togolais ce qui fait de nous des éléments indissociables d’une même nation en gestation, riche de la diversité de ses peuples, de ses cultures. Et lorsque les campagnes électorales se dérouleront, il faut que chaque Togolais comprenne que quelle que soit son ethnie, il n’est pas au-dessus de la loi, parce que même si les crimes passés sont restés impunis, les futurs ne le seront pas. Avant tout, il faut que nous nous rappelions régulièrement que les droits et devoirs qui nous incombent en tant que citoyens togolais sont aussi des atouts : un investissement en faveur de la paix et du développement durable. Parce que comme le dit le proverbe togolais " novi tikplo me heina o!" (le bâton de fraternité ne se casse jamais).
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