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Vies gâchées : Pourquoi les tchadiennes meurent-elles encore en couche?

Les efforts déployés par le gouvernement pour réduire les taux catastrophiquement élevés de mortalité maternelle et de mortinatalité au Chad ont été mal orientés. Ce dont nous avons besoin, ce n’est pas la construction d’infrastructures, mais de médecins spécialistes qui reçoivent un salaire décent et d’auxiliaires de santé, dit Kagbe Rachel. 

Kagbe Rachel
30 August 2012

« Je suis choquée, en lisant les différents rapports et publications sur la santé maternelle et infantile qui montrent qu’au Tchad, la mortalité maternelle est toujours élevée. Elle est de 1.099 pour 100.000 naissances en 2004, contre 827 en 1996/1997. Ce fort taux de mortalité maternelle a pour cause certains facteurs que nous combattons tous les jours: inégalité entre les sexes et déni des droits sexuels des femmes, pauvreté et faible accès des femmes aux services de santé, taux de fécondités élevés, violences sous toutes les formes faites aux femmes, mariages précoces, grossesses non désirées ». Hinda Déby Itno, Première Dame du Tchad le 15/10/2009 lors du lancement de la CARMMA (Campagne pour l'Accélération de la Réduction de la Mortalité Maternelle en Afrique).

Trois années après la déclaration de la Première Dame peu de progrès ont été constatés dans la lutte contre la mortalité maternelle et infantile au Tchad. Les femmes sont les première victimes de la situation précaire dans laquelle vivent les tchadiens. L’inégalité entre les sexes se base sur quatre indicateurs principaux : la participation à la vie économique, l’éducation, la santé et l’empowerment politique. S’agissant de la vie économique, les femmes rurales sont massivement victimes de la pauvreté. Elles sont très majoritairement analphabètes et disposent d’un niveau de développement humain, notamment en matière de santé, particulièrement faible. Leur présence dans le secteur formel de l’économie est faible. Ainsi, les femmes représentent 13 % en moyenne des effectifs de la fonction publique. Les femmes sont sous-représentées aux fonctions de direction (une vingtaine de directrices d’administration centrale sur 150). Tous ces indicateurs concourent à classer le Tchad 133ième sur 134ième selon le  rapport annuel publié par le World Economic Forum en 2011.

En plus de tous ces indicateurs peu reluisants, la femme tchadienne est constamment victime de violences sexuelles, de mariage précoce et de fait de grossesses souvent non désirées. Seulement toutes ces formes de violences ne sont pas considérées comme telles, puisqu’elles sont commises très souvent sous la couverture du mariage qui ‘permet’ à l’époux dans les traditions d’être le maitre  et de disposer de sa femme comme il le souhaite. La pesanteur socio-économique et culturelle que vivent les femmes au Tchad ne leur permet pas de voir le bout du tunnel.

Seule l’adoption du code de la famille qui peine à passer à l’Assemblée nationale pourra aider à mettre en place un système juridique susceptible de protéger la femme de toutes ces violences.  Pour revenir à la mortalité maternelle et infantile au Tchad, Mamadou Dicko, représentant du FNUAP (Le Fonds des Nations Unies pour la population) affirme que la situation sur le terrain est sombre: « une femme meurt des suites d’accouchement toutes les deux heures ». Il suffit d’examiner quelques-unes de ces vies gâchées parmi tant d’autres pour comprendre que les causes de ces morts tragiques sont évitables.

Dernier trimestre 2011, une femme employée dans une banque de la place est admise dans un hôpital pour un accouchement. Le personnel en charge a estimé qu’elle pouvait accoucher par le siège un bébé de près de 6kgs, mais elle ne pouvait pas : elle décèdera de même que son enfant. Une autre, mère au foyer, est admise prématurément à l’hôpital pour saignements abondants. Elle baignera dans son sang sous le regard indifférent des sages-femmes jusqu’à ce que mort s’en suive.

Ces tragédies quotidiennes frappent indifféremment les femmes du monde rural plus souvent comme celle de la ville. Cela est d’autant plus révoltant qu’il s’agit de questions récurrentes d’accès aux services de santé, de qualification, de prise de conscience du personnel soignant et de disponibilité de médicaments et de services techniques aux moyens appropriés. Il y a beaucoup de travail à faire pour réduire le taux de mortalité maternelle et infantile, mais beaucoup des problèmes pourraient être facilement réglés : « le ministère de tutelle doit envoyer des personnes qualifiées sur le terrain et mettre les moyens nécessaires à leur disposition » a suggéré le Docteur Tchindjibé, médecin chef de District du Centre Baptist de Koumra au sud du Tchad.

En 2009, le Pays comptait environ 4936 personnels de santé (toutes catégories confondues). Le Ministère de la Santé Publique (MSP) en utilise environ 4065 soit 82,3% parmi lesquels 195 sages-femmes. Avec ces ressources, ce sont seulement 16% de la population féminine qui bénéficie d’un accouchement assisté par un personnel qualifié. Selon les estimations de l’Organisation Mondiale de la Sante (OMS) en 2006, il fallait un nombre minimum de 2,3 médecins, infirmiers et sages-femmes pour 1000 habitants. Les données n’ont pas changé depuis lors.

Certes le gouvernement a investi dans la construction d’infrastructures de santé et a prôné la gratuité des soins obstétricaux d’urgence, mais ces efforts ont été mal orientés. De nombreux experts estiment qu’il aurait été plus logique de mettre l’accent au préalable sur la formation de médecins spécialistes et d’auxiliaires de santé et sur l’amélioration de l’accès des femmes aux soins de santé spécialisés. « Je demande 275.344.600 FCFA (environ $500,000 USD) pour sauver la vie de milliers de femmes » disait feue Mme Achta Toné Gossingar, ambassadrice itinérante de la CARMMA, lors d’une interview accordée à un hebdomadaire national, dénommé Notre Temps. Une somme dérisoire en son temps, jugé trop élevé par le MSP. Ce budget aurait permis un meilleur accès aux structures de santé pour des consultations prénatales et post natales pour des milliers de femmes tchadiennes. Au lieu de cela les investissements du gouvernement se sont orientés vers la construction d’infrastructures et il en a résulté la construction de l’Hôpital de la Mère et de l’Enfant , de 255 centres de santé, de 60 hôpitaux de district et de 5 hôpitaux régionaux. En dépit de ces infrastructures, on note une faiblesse dans la couverture médicale et dans la qualité des prestations des services de santé due en grande partie à la pénurie de personnels de santé qualité. Les effectifs les plus nombreux du MSP concernent les infirmiers associés (1158), le personnel d’appui (846), les Infirmiers Diplômés d’Etat (489), les médecins (274), les techniciens de laboratoire (221), les administrateurs gestionnaires (196), les sages-femmes (195) et les techniciens d’assainissement (164).  

La Faculté des Sciences de la Santé de N’Djamena est une institution publique créée en 1990. Elle a déjà formé plus de 200 médecins, cependant, elle éprouve des difficultés énormes dues surtout à l’insuffisance des enseignants qualifiés et disponibles autant qu’à l’inexistence des infrastructures et équipements qui la place en deçà des normes internationales. Les médecins formés déchantent très vite à cause du traitement salarial en total inadéquation avec le niveau élevé de la vie au Tchad. Pour joindre les deux bouts, ils deviennent des hommes d’affaire, et ouvrent des cliniques privées. En sus de ces cliniques, ils sont à l’affut de toutes les conférences, ateliers qui leur permettent d’augmenter leurs revenus. Le mercantilisme des médecins constitue la plus grande menace à la garantie de meilleur accès aux structures de santé pour des consultations prénatales et post natales pour des femmes. Ces médecins deviennent pour la plupart indifférents à la souffrance de leur patient  à tel enseigne qu’on peut s’interroger sur leur niveau de formation aussi bien que sur leur niveau d’intégrité. Examinons quelques cas avérés de négligence : Madame T et Madame Z.

Jeune primipare Madame T ressent des douleurs au bas ventre un soir. En dépit des appels répétés de son époux, le gynécologue en charge du suivi de son épouse refuse de se déplacer. C’est qu’il est occupé à une soirée et ne peut se déplacer. La jeune primipare est conduite aux urgences et perdra son enfant. Rendu sur place le lendemain matin, le médecin s’offre le luxe de rater le travail désagréable du curetage…

Jeune primipare Madame Z ressent des douleurs au bas ventre au petit matin. Son époux la conduit dans un centre de santé, où elle est tripatouillée par les sages-femmes qui déclarent que son enfant est mort depuis deux jours. Le verdict était faux. Conduite à l’Hôpital de la Mère et de l’Enfant, elle y est reçue par son gynécologue qui lui fait expulser le bébé toujours vivant pour cause d’absence de liquide amniotique. Plus tard le gynécologue dira avoir oublié de lui prescrire un médicament qui aurait pu arrêter ces saignements constaté lors d’une consultation prénatale.

Ces quelques exemples qui sont monnaie courantes, ne peuvent s’expliquer ni se justifier. Combien de femmes et enfants doivent souffrir, où pire encore, perdre leur vie, avant que nos politiques offre des solutions efficaces face au drame de la mortalité maternelle et infantile? La femme à ce don incroyable de porter la vie; cette vie qui est un potentiel pour la nation. La responsabilité de ces médecins se résument dès lors à en prendre soin. Ils ont prêté le serment d’Hippocrate et se doivent de donner le meilleur d’eux-mêmes pour sauver des vies et rien d’autre. Si les décideurs politiques travaillent à pallier à toutes les difficultés que rencontre le système de santé, ils pourront plus efficacement contribuer à réduire la mortalité maternelle ainsi que la mortinatalité qui ont et qui continuent de couter la vie à trop de femmes tchadiennes. Le seul moyen de faire à cette tragédie qui touche notre pays est d’investir dans la formation à la base, et dans la sensibilisation de la population cible que sont les femmes enceintes. Les concours de médecines doivent se baser sur la qualité, la compétence et non sur la nécessité de se caser. Les moyens doivent être fournis aux personnels soignants, ils doivent être recyclé continuellement car la santé est en en perpétuelle évolution. Les femmes doivent être sensibilisées pour avoir systématiquement recours à la consultation prénatale et surtout y avoir systématiquement. Ce n’est que lorsqu’elles recevront des soins adéquats au bon déroulement de leur maternité pour donner la vie en toute sécurité que l’on pourra parler du mandat social au Tchad. 

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