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Les villes: nouvelles gardiennes des droits de l’homme

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En surveillant la situation des droits de l’homme dans les pays, les mécanismes de l’ONU relatifs aux droits de l’homme impliquent principalement les gouvernements. Les autorités municipales sont trop souvent négligées en dépit du rôle essentiel qu’elles jouent dans la réalisation du droit au logement et de nombreux autres droits. EnglishEspañol

Leilani Farha
9 March 2015

En octobre 2014, sur invitation des organisations de la société civile, j’ai visité la ville de Détroit avec le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur le droit à l’eau et à l’assainissement. Nous avons rencontré des gens dont l’eau avait été coupée et de nombreuses autres personnes qui avaient des difficultés à payer des factures élevées pour éviter de perdre leur accès à l’eau. La ville de Détroit qui se relevait de la faillite, et était encore très fortement endettée, avait cessé de fournir de l’eau aux personnes qui ne pouvaient pas payer leurs factures.

Le droit à l’eau potable et à l’assainissement, ainsi que le droit à un logement décent, sont inscrits dans l’Article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme. La visite à Détroit soulignait pour moi l’importance des autorités locales dans la protection de ces droits. Mais dans quelle mesure les autorités urbaines sont-elle impliquées dans les discussions sur les droits de l’homme ? Et comment ces autorités locales peuvent-elles se voir plus souvent demander des comptes lorsqu’elles ignorent ces droits ? J’ai examiné ces questions dans un rapport présenté au Conseil des droits de l’homme à Genève ce mois-ci.

Au cours des dernières décennies, certaines initiatives ont commencé à impliquer les autorités locales et municipales dans les questions relatives au droit au logement, en particulier par le biais des concepts de « ville des droits de l’homme » et de « droit à la ville ». Au cours des dernières décennies, certaines initiatives ont commencé à impliquer les autorités locales et municipales dans les questions relatives au droit au logement, en particulier par le biais des concepts de « ville des droits de l’homme » et de « droit à la ville ». Ces efforts font suite à la reconnaissance que les autorités locales ont des responsabilités essentielles, non seulement pour prévenir les expulsions forcées, mais également pour prendre des mesures positives afin de garantir le droit au logement décent : le développement des infrastructures, l’aménagement du territoire, l’amélioration des quartiers insalubres, et ainsi de suite.

Des avancées positives ont eu lieu dans ce domaine. Séoul, par exemple, s’est déclarée ville des droits de l’homme en 2012, et a depuis adopté des mesures en faveur du droit au logement. La loi sur le statut de la ville au Brésil démontre l’importance de faire évoluer  l’aménagement urbain pour placer les gens au cœur des préoccupations, avec des autorités locales jouant un rôle central. Aux États-Unis, plusieurs villes ont développé des approches innovantes en matière de droits de l’homme dans le domaine du logement. Madison, dans le Wisconsin, a adopté une résolution exigeant que la ville finance de manière appropriée une stratégie de logement qui garantisse un logement décent à ceux qui sont dans le besoin. Détroit elle-même dispose d’une charte de la ville qui comprend un chapitre sur les droits de l’homme et qui est utilisée pour appuyer les actions en justice remettant en cause les coupures d’eau. Mais de nombreuses villes ont encore une longue route à parcourir avant de mettre en place des mesures de ce type.

Cependant, la tendance générale dans le monde depuis les années 1990 est à la décentralisation des responsabilités en direction des autorités locales, en particulier en ce qui concerne le logement. La décentralisation a été encouragée sur la base de la « subsidiarité », qui affirme que les responsabilités publiques devraient être exercées par les autorités élues qui sont les plus proches des gens. Pour ce qui est du logement, la décentralisation a été encouragée en tant que moyen d’améliorer la démocratie participative et la transparence, et de favoriser l’innovation au niveau local. Cependant, ce processus a souvent privilégié les efforts économiques et politiques et exclut les droits de l’homme des débats. Dans ce cas, il n’existe aucun moyen de garantir que le droit à un logement décent soit intégré dans les politiques et les programmes qui sont délégués.

En même temps, les autorités locales sont souvent freinées dans la mise en place des droits de l’homme par un manque de ressources, de connaissances et de savoir-faire. Les gouvernements nationaux considèrent rarement qu’il est de leur ressort de s’assurer que les autorités locales aient la capacité de répondre à leurs obligations en matière de droits de l’homme. Au final, ce sont les plus vulnérables qui en subissent les conséquences, et notamment les habitants des quartiers insalubres, les sans-abris, les personnes souffrant d’un handicap, les migrants, les groupes minoritaire, et tant d’autres.

Mais les mécanismes internationaux relatifs aux droits de l’homme n’ont pas toujours fait mieux pour ce qui est de mobiliser la responsabilité des pouvoirs publics locaux comme les villes, choisissant au contraire de s’adresser principalement aux autorités nationales. En effet, les pouvoirs publics locaux ne sont souvent même pas tenus informés des conclusions ou recommandations des traités ou autres mécanismes relatifs aux droits de l’homme qui pourraient jouer un rôle essentiel dans l’action qu’ils mènent à leur niveau. Bien que la mission sur le droit à un logement décent reçoive de nombreuses plaintes concernant l’action des pouvoirs publics locaux, rien ne permet de savoir si les États consultent les autorités locales avant de répondre.

Bien que ce soit difficile, nous devons trouver des moyens de mieux inclure les pouvoirs publics locaux dans le système international qui surveille le respect des droits de l’homme. Certains pays impliquent les autorités locales dans les mécanismes d’examen périodique universel. De plus, les Rapporteurs spéciaux et les autres procédures établies par le Conseil des droits de l’homme de l’ONU peuvent (et parfois le font) impliquer directement les pouvoirs publics locaux dans leurs activités courantes.  

Au niveau national, les tribunaux jouent un rôle de plus en plus important dans la clarification des obligations des pouvoirs publics locaux. Par exemple, dans l’affaire Grootbroom, la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a reconnu que les autorités locales ont également l’obligation de réaliser progressivement le droit à un logement décent. Les tribunaux colombiens, égyptiens, et indiens ont également fait respecter des aspects du droit à un logement décent dans des affaires impliquant les actions des pouvoirs publics locaux.

Mais pour que le droit à un logement décent s’affirme, davantage doit être fait pour encourager et soutenir les pouvoirs publics locaux à s’impliquer dans les droits de l’homme.

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Flickr/uusc4all (Some rights reserved)

Residents of Detroit rally against municipal water shutoffs.


Les organismes internationaux de défense des droits de l’homme ont un certain nombre d’opportunités pour renforcer les obligations en matière de droits de l’homme à différents niveaux des pouvoirs publics. Les recommandations et leurs implications doivent être communiquées aux autorités locales et territoriales en exigeant des réponses et des mesures de suivi. Ils doivent s’assurer que la décentralisation en matière de logement est guidée et inspirée par les droits de l’homme, en particulier pour ce qui est du droit à un logement décent.

Les pouvoirs publics nationaux devraient garantir l’accès à la justice ainsi que des solutions efficaces aux violations du droit à un logement décent au niveau local et national. Ils devraient également s’assurer que les pouvoirs publics locaux ont les ressources et la capacité de faire face à leurs responsabilités en matière de droits de l’homme, ce qui pourrait éviter aux municipalités de prendre des décisions qui sont contraires au droit à un logement décent.

Au niveau municipal, les villes devraient considérer l’adoption de chartes qui garantissent explicitement le droit à un logement décent ainsi que les droits connexes. De plus, la société civile et les organisations communautaires, ainsi que les institutions chargées de défendre les droits de l’homme, pourraient renforcer les liens entre les initiatives internationales, nationales et locales afin de contrôler la mise en œuvre du droit à un logement décent. Ces efforts combinés garantiraient que les obligations des autorités locales et territoriales figurent en bonne place dans les exposés soumis aux instances chargées des droits de l’homme.

Au final, inscrire les droits économiques et sociaux dans les traités et les lois nationales n’a de sens que si les organismes au cœur de l’action (dans ce cas les autorités territoriales et municipales) disposent des informations et des ressources nécessaires pour les faire respecter, et que dans le cas contraire, leur responsabilité puisse être mise en cause.

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