Couper l’accès à l’eau et à l’assainissement devrait soulever l’indignation morale dans n’importe quel pays, en particulier dans un contexte où la richesse mondiale et les capacités de production sont suffisantes pour satisfaire les besoins fondamentaux de tout le monde. C’est particulièrement choquant aux États-Unis, dans une ville qui fut le centre mondial de la production automobile et qui est entourée par 20 % des ressources en eau douce de surface du monde. Pour répondre en urgence au fait que plus de 30 000 foyers de Détroit se voient dénier l’accès à l’eau et à l’assainissement, la Michigan Welfare Rights Organization (MWRO) ainsi que The Detroit People's Water Board Coalition et d’autres alliés ont organisé le rassemblement des mouvements sociaux en faveur de l’eau et d’un logement abordable en mai 2015. Le rassemblement a fini par réunir 200 défenseurs des droits de l’homme et leaders de mouvements populaires à Détroit en provenance de tout les États-Unis et de plusieurs autres pays.
La ville de Détroit a déclaré la plus grande faillite d’une municipalité dans l’histoire des États-Unis le 18 juillet 2013. Bien que les citoyens du Michigan aient rejeté la loi de l’État sur l’administrateur d’urgence dans un référendum de 2012, la législature de l’État et le gouverneur ont adopté et utilisé une loi similaire (le Public Act 436) pour imposer un administrateur d'urgence à Détroit en mars 2013. Doté de pouvoirs quasiment illimités pour négocier le futur de la ville, l’administrateur d’urgence a retenu les services de Veolia North America pour mener la restructuration des services de l’eau et de l’assainissement de Détroit.
En octobre 2014, 30 000 foyers avaient déjà vu leur service d’eau et d’assainissement coupé, entraînant la visite de deux Rapporteurs spéciaux des Nations Unies. Leur déclaration soulignait que des « milliers de foyers vivent dans la peur que l’eau leur soit coupée à tout moment sans préavis … et que les enfants pourraient être pris par les services de protection de l’enfance car les maisons sans eau courante sont jugées inhabitables pour les enfants. » En dépit de leur critique et d’une large couverture médiatique, les factures d’eau impayées sont maintenant liées aux impôts fonciers, exposant des milliers de propriétaires à des saisies en raison du non paiement des impôts fonciers.

Flickr/uusc4all (Some rights reserved)
In Detroit, water shutoffs prompt grassroots groups to respond: “Water is a human right!” This conception of human rights moves beyond the narrow liberal rights tradition.
Alertant les États-Unis et ses alliés sur l’aggravation de la situation, Maureen Taylor, présidente du MWRO, commence souvent les présentations sur Détroit en proclamant : « Bienvenus dans le futur ! ». Établie en 1918, l’usine Ford de River Rouge alla jusqu’à employer plus de 100 000 résidents de Détroit. Aujourd’hui, la technologie et la sous-traitance ont éliminé des dizaines de milliers d’emplois. River Rouge reste le plus grand centre de production de Ford, mais il n’emploie que 6 000 personnes. Détroit apporte une perspective importante pour examiner l’expérimentation libérale, dans le domaine de la démocratie, des droits individuels et du libre marché, incarnée par les États-Unis. Ce modèle a insufflé l’innovation technologique, l’augmentation de la productivité et la réduction du coût du travail dans la recherche du profit. Pendant un certain temps, le libéralisme a également créé un espace pour l’organisation du travail, et de nombreux employés du secteur automobile de Détroit, blancs et noirs, eurent la possibilité de bénéficier de salaires stables suffisants pour s’offrir des maisons décentes et des retraites confortables. Cependant, le futur paraît bien sombre vu de Détroit.
La tradition des droits libéraux prône la liberté individuelle et l’égalité formelle devant la loi, mais elle ne promet pas de mettre fin aux inégalités substantielles. D’ici 2013, 39 % de la population en diminution rapide de Détroit vivait en dessous du seuil officiel de pauvreté. 83 % des résidents étaient des afro-américains. La tradition des droits libéraux prône la liberté individuelle et l’égalité formelle devant la loi, mais elle ne promet pas de mettre fin aux inégalités substantielles. Ni le libéralisme classique, ni le néolibéralisme, ne garantissent le droit à l’eau, au logement ou à d’autres biens et services publics.
Les politiques économiques néolibérales ont fini par aggraver les inégalités matérielles et jeter les bases de la récente crise économique, faisant basculer Détroit dans l’insolvabilité. Alors que les inégalités nourrissent la résistance et la dislocation sociale, la réponse du gouvernement affaiblit souvent les droits civils. Détroit illustre une tendance nationale à la militarisation des forces de police, à la surveillance, et à l'incarcération massive touchant de manière disproportionnée la population noire et portant atteinte au droit à la vie, à la vie privée, à la participation politique et à la protection contre tout traitement inhumain ou dégradant. Le gouvernement de l’État s’est arrogé le contrôle démocratique au détriment des résidents de Détroit. L’administrateur d’urgence s’est embarqué dans une série de partenariats public-privé. Par exemple, Homrich Wrecking, Inc. s’est vu attribuer un contrat de 5,6 millions de dollars sur une période de deux ans pour procéder aux coupures d’eau en milieu résidentiel.
Un mouvement de résistance populaire lutte contre les coupures, déployant des conduites d’eau entre les maisons, protégeant les enfants contre les enlèvements injustes, travaillant avec les économistes pour créer de nouveaux programmes en faveur de l’accès à l’eau et avec les avocats (notamment les membres du Réseau-DESC de plusieurs pays) pour insister sur le fait que le droit à la vie doit englober les droits sociaux. À travers leur lutte, les mouvements populaires continuent d’insister sur le fait que : « l’eau est un droit de l’homme ! ». Cette conception des droits de l’homme va au-delà de la tradition étriquée des droits libéraux.
Premièrement, le fait de revendiquer l’eau comme un droit de l’homme suggère que l’approche libérale en matière de liberté et d’égalité formelle devrait être complétée en prêtant attention aux égalités substantielles et au bien commun. La Déclaration universelle des droits de l’homme s’inspire d’un ensemble de traditions philosophiques et religieuses et de luttes pour la justice mettant en lumière l’interdépendance des droits politiques, économiques, sociaux, civils, et culturels.
Deuxièmement, les violations individuelles des droits de l’homme devraient constituer le point de départ d’une analyse systémique de l’appauvrissement, de la dépossession, et de la répression qui privent les gens de leurs droits dans le monde. En suivant l’exemple des résidents de Détroit, les défenseurs des droits de l’homme peuvent poser la question suivante : Est-ce que certains biens et services devraient être exclus des marchés concurrentiels ? Si le profit personnel a souvent été source d’innovation et de travail assidu, est-il possible d’imaginer des avancées sociétales basées sur les valeurs de coopération, de durabilité et d’empathie ? Dans une société mondialisée caractérisée par l’abondance et une infinité de possibilités de communiquer, mais qui fait également face aux défis existentiels du changement climatique, de la pauvreté et de la militarisation, nous avons sans doute besoin de nouveaux modèles pour vivre ensemble.
Enfin, l’appel lancé par les organisations de Détroit en faveur d’un rassemblement international des organisations populaires et des ONG (qui font face à un combat similaire aux États-Unis et dans le monde) révèle leur analyse sur le fait qu’un mouvement mondial en faveur des droits de l’homme est essentiel. Si le libéralisme a pour postulat l’État-nation souverain et démocratique, le fait que les forces économiques mondiales façonnent la ville de Détroit et les communautés dans le monde est de plus en plus reconnu. Cela ne revient pas à dénier les spécificités de différents contextes, mais plutôt à examiner la façon dont ils interagissent avec les forces mondiales et les structures communes d’oppression et d’exploitation. À cet égard, les droits de l’homme ne sont pas de simples normes juridiques créées par les Nations Unies, ratifiées par les gouvernements et soumises aux tribunaux. Les droits de l’homme servent également de base aux revendications collectives et à la légitimité morale des luttes populaires en insistant sur la justice sociale face aux déséquilibres mondiaux.

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