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Penchons-nous sur la fiscalité : les défenseurs des droits de l’homme s’attaquent à l’injustice fiscale

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La communauté des droits de l’homme ne peut pas rester silencieuse au sujet de la fraude fiscale. Tant les évolutions normatives que l’expérience pratique montrent la manière dont les droits de l’homme peuvent façonner la politique fiscale. EspañolEnglishالعربية

Niko Lusiani
8 April 2015

La pénurie de ressources est l’une des cartes préférées dans le jeu de toutes les personnes en politique aujourd’hui. « Les droits économiques et sociaux sont une aspiration séduisante d’un point de vue moral, c’est certain, mais nous n’avons simplement pas les fonds », tel est le refrain couramment utilisé mais rarement prouvé des gouvernements, qu’ils soient riches ou pauvres.

Nous ne pouvons plus rester silencieux au sujet de la fraude fiscale.Pendant quelques temps, trop de défenseurs des droits de l’homme ont dû lutter pour répondre de manière satisfaisante à ce qui semblait être un véritable joker, et ce, en se confrontant au pouvoir économique pour déterminer librement la manière de mobiliser l’argent public. Au sein de la communauté des droits de l’homme, des critiques s’élevaient et cherchaient à questionner la manière dont les gouvernements mobilisent les ressources. Cependant, elles étaient écartées par un grand nombre de leurs homologues comme étant trop naïves, trop éloignées des normes irréfutables des droits de l’homme, ou simplement trop « idéologiques ».  Les ministères des finances restaient des zones où les droits de l’homme étaient absents et ne faisant l’objet d’aucune surveillance de la part des organismes des droits de l’homme appartenant aussi bien au gouvernement qu’à la société civile. En conséquence, la réalisation des droits de l’homme dans tous les domaines (de l’éducation à l’accès à la justice, de la santé à la liberté d’expression, de la sécurité sur le lieu de travail à la protection sociale) restait sous-financée. De plus, en évitant les débats sur la collecte des recettes fiscales, les défenseurs des droits de l’homme négligeaient incidemment un élément central de la responsabilité entre l’État et le citoyen, et négligeait ainsi un des moyens de médiation du pouvoir les plus importants.

La vraie naïveté était de penser que les droits de l’homme pouvaient être assurés sans se pencher sur la question des moyens matériels. Cette approche a définitivement pris fin avec les bouleversements liés au changement climatique, à l’austérité fiscale et aux inégalités économiques, qui révèlent la fragilité des fondations qui sous-tendent les anciennes hypothèses. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus rester silencieux au sujet de la fraude fiscale.

La bonne nouvelle est que les défenseurs des droits économiques et sociaux ont mené ce combat depuis de nombreuses années et qu’ils ont ainsi accumulé des enseignements et des acquis précieux. Pendant plus d’une décennie maintenant, les défenseurs des budgets ont montré la voie en adoptant des normes, en matière de droits de l’homme, pour donner un cadre et un poids juridique à leurs critiques des décisions en matière de dotation budgétaire, et ce, avec un succès indéniable. Plus récemment, les spécialistes et les militants des droits de l’homme, de concert avec les économistes et les experts fiscaux, ont commencé à utiliser concrètement les normes des droits de l’homme pour contester les injustices liées à la politique fiscale.  

Une coalition brésilienne a contesté les réformes fiscales régressives en affirmant que les dépenses dans le domaine de la protection des droits sociaux devaient constituer une priorité fiscale. La protection constitutionnelle des droits de l’homme économiques et sociaux a été exploitée en Colombie pour mettre en échec une taxe sur la valeur ajoutée, synonyme d’appauvrissement. En Inde, les militants des droits ont remis en question la logique gouvernementale sur la nécessité de réduire les dépenses sociales en faveur des Dalits et des Adivasis, tout en plaidant pour la baisse de cinq pour cent de l’impôt sur les sociétés. En Argentine, la discrimination sexiste dans le code des impôts a été documentée et remise en cause. Et les militants kenyans ont récemment exercé un recours constitutionnel face à la convention de double imposition du pays avec L’île Maurice, accord qui porterait atteinte à la capacité de l’administration fiscale de lever l’impôt. Le Centre pour les droits économiques et sociaux s’est tourné vers les organismes internationaux et régionaux des droits de l’homme afin de demander des comptes pour les politiques fiscales inéquitables menées dans certains pays, et ce, quelque soit leur niveau de développement, en passant de l’Égypte au Guatemala et de l'Irlande à l'Espagne.

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Demotix/Mark Moloney (All rights reserved)

Irish demonstrators demand an end to a regressive household and water tax in Dublin.


Poussés par les défenseurs des droits économiques et sociaux à s’impliquer davantage dans la politique fiscale, les organes conventionnels internationaux des droits de l’homme, les Rapporteurs spéciaux des Nations Unies, les organes régionaux des droits de l’homme, et l'initiative en faveur des droits de l'homme de l'Association internationale du Barreau, ont tous détaillé de quelles manières le droit relatif aux droits de l’homme doit façonner les politiques et les pratiques fiscales des pays et des entreprises. Le Rapporteur spécial de l'ONU sur l'extrême pauvreté et les droits de l’homme a produit la version la plus avancée de ce guide normatif à ce jour.  

Ces organismes ont clarifié la manière dont les principes fondamentaux des droits de l’homme (comme la réalisation progressive des droits économiques et sociaux, la garantie de la non-discrimination, et le devoir de coopération internationale des États) s’appliquent concrètement à la politique fiscale. Ils ont confirmé que les normes existantes des droits de l’homme obligent les gouvernements à mobiliser suffisamment de ressources pour assurer les droits de l’homme de manière équitable, par le biais d’institutions publiques transparentes et responsables. De plus, les gouvernements qui facilitent ou promeuvent activement la fraude fiscale, au niveau national ou transfrontalier, peuvent être en violation de leurs obligations internationales en matière de droits de l’homme.

Que va-t-il devoir se passer afin de transformer ces avancées sporadiques, dans le domaine des normes et des actions de plaidoyer, en un mouvement plus cohérent et proactif en faveur de la justice fiscale et des droits de l’homme ? La recherche interdisciplinaire fondée sur de solides méthodes demeurera essentielle pour fournir les faits nécessaires pour attribuer les violations des droits de l’homme à un État en particulier ou à une pratique commerciale. Des synergies plus étroites et intentionnelles, entre la justice fiscale et les défenseurs des droits de l’homme, seront également essentielles.

C’est précisément le but de la prochaine réunion stratégique internationale « Advancing Tax Justice through Human Rights, (Promouvoir la justice fiscale via les droits de l’homme)» à Lima au Pérou fin avril. Cette réunion va rassembler d’éminents spécialistes, chercheurs, juristes et autres intervenants du milieu des droits de l’homme et de la justice fiscale, pour traiter de plusieurs questions fondamentales. Comment les codes des impôts peuvent-ils être conçus afin de favoriser, plutôt que de freiner, la justice en matière d’égalité entre les hommes et les femmes ? Quelle est la situation en matière de droits de l’homme pour le régime fiscal du capital et de l’impôt progressif sur le revenu ? En matière de fiscalité et de droits de l’homme, quelles sont les responsabilités des entreprises multinationales et des conseillers fiscaux, des comptables, des avocats et des  lobbyistes qu’elles emploient ? Comment les obligations légales des gouvernements dans le domaine de la coopération internationale peuvent-elles être exploitées pour demander des comptes aux responsables de fraudes fiscales transfrontalières ? Les actions en litiges stratégiques peuvent-elles devenir un complément utile à la défense de la justice fiscale ? La discussion va se baser sur les recherches menées par les institutions académiques et les organisations du développement.

Au lieu que les gens restent les sujets passifs de régimes fiscaux injustes et irresponsables, le but est, via l’utilisation créative de lois, de recherches et d’actions de plaidoyer, de rendre l’État toujours plus sujet aux exigences des droits de l’homme inaliénables des individus. Quand les hommes et femmes politiques cherchent à faire machine arrière sur les droits de l’homme, en étant alarmistes sur le manque de ressources, les défenseurs doivent avoir les outils pour contrer cette ruse, remettre en question le manque de ressources invoqué, et promouvoir des alternatives fiscales justes.

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