En dépit de l’euphémisme populaire « circoncision féminine », les mutilations génitales féminines (MGF) sont largement reconnues comme étant une pratique extrêmement nuisible, et parfois potentiellement mortelle. Mais, à cause de raisons sociales, culturelles et religieuses, les défis qui se posent au fait de mettre un terme à cette coutume sont significatifs. D’après l’OMS et l’UNICEF, environ 125 millions de filles dans le monde ont subit cette pratique, et le nombre de filles courant le risque de subir une MGF au cours de la prochaine décennie est estimé à 30 millions.
Actuellement, les nouveaux objectifs de développement durable de l’ONU qui sont proposés comprennent notamment l’élimination totale des MGF d’ici à 2030. De nombreuses agences voient cela comme un objectif atteignable vu la connaissance grandissante des meilleures pratiques et des stratégies efficaces par rapport à celles qui ne le sont pas. Un article récent dans openGlobalRights présente plusieurs stratégies clefs qui, si elles étaient mises en œuvre, pourraient rendre l’objectif réalisable : renforcer le soutien de la société civile, faire appliquer les lois luttant contre les MGF, impliquer les professionnels de la santé. Cependant, la plus grande partie des efforts en Égypte au cours des 20 dernières années a utilisé ces stratégies mais avec des résultats plutôt modestes.
Le plaidoyer en faveur de la fin des MGF en Égypte a commencé tôt dans les années 1970 et s’est intensifié après la Conférence internationale de l’ONU sur la population et le développement (CIPD) en 1996. Au début, la plupart de ces activités traitaient des MGF sous l’angle de la santé plutôt que du point de vue des droits. Ce qui entraîna une médicalisation de la pratique, mais pas une réduction de sa prévalence. Actuellement, les médecins pratiquent plus de 70% des MGF en Égypte (bien qu’elles soient illégales).
Les activités visant à lutter contre les MGF bénéficièrent d’une plus grande visibilité et d’un financement accru en Égypte dès lors que les MGF devinrent une question prioritaire pour le Conseil national pour l’enfance et la maternité (NCCM). En 2003, un partenariat entre le NCCM, les ONG nationales, les différentes agences onusiennes, et d’autres donateurs, fut établi avec l’objectif de mettre un terme aux MGF en Égypte. Par conséquent, un programme national intitulé « Village modèle sans MGF » fut conçu pour autonomiser les filles et les familles et prendre des décisions éclairées contre les MGF. Le programme fut mis en œuvre dans 60 villages de six gouvernorats lors de la première phase et fut élargi à 120 villages lors de la seconde phase pour couvrir 20 des 27 gouvernorats.

Flickr/Colin Manuel (Some rights reserved)
A girl in rural Egypt goes to retrieve water.
Un autre programme national, « le programme conjoint UNFPA-UNICEF sur les MGF », fut lancé en 2008 et s’est déroulé de manière intensive pendant sept ans en faisant la promotion d’approches stratégiques visant à mettre un terme aux MGF. Au niveau politique, le ministère de la Santé égyptien a émis un décret ministériel en 2007 interdisant aux professionnels de la santé de pratiquer les MGF. Ce fut suivi en 2008 par des évolutions du code pénal visant à criminaliser les MGF. De plus, Dar al-Iftaa, l’entité officielle émettant des avis religieux, jugea que la pratique était « non-islamique ».
La prévalence de cette pratique ne chute simplement pas assez rapidement. Cependant, ces programmes ont eu un impact limité. Les données récentes publiées en mai 2015 sur l’enquête sur la démographie et la santé égyptienne (EDHS 2014), et en juin 2015 sur l’enquête sur les jeunes en Égypte (SYPE), n’appuient pas l’affirmation comme quoi les MGF peuvent être éliminées d’ici à 2030. La prévalence de cette pratique ne chute simplement pas assez rapidement.
En 2014, les données de l’enquête EDHS indiquaient que la prévalence des MGF chez les femmes mariées (ou l’ayant été) et âgées de 15 à 45 ans était de 92,3%, soit une baisse de 4,7% au cours des 20 dernières années. Le pourcentage des filles âgées de 0 à 19 ans déclarées par leur mère comme étant excisées était de 21,4% en 2014, soit une baisse de 6% sur une période de dix ans. De plus, 34,9 % des mères avaient l’intention de faire exciser leur fille dans le futur, soit une baisse de seulement 2,7% sur une période de 20 ans. L’enquête SYPE de 2014 indiquait que 77,9% des jeunes âgés de 15 à 29 ans déclaraient être circoncis, soit une baisse de 7% sur une période de cinq ans. Une conclusion alarmante du SYPE 2014 était que 70,7% des jeunes femmes et 68,6 % des jeunes hommes interrogés avaient l’intention de faire exciser leur fille dans le futur.
La plupart des programmes sur les MGF au cours des 12 dernières années ont été dirigés par le gouvernement, avec deux messages principaux : les MGF ne font pas partie des enseignements religieux islamiques ou chrétiens et les MGF ont des conséquences négatives sur la santé. La plupart de ces programmes évitent de traiter de la question du point de vue des droits des femmes en matière de sexualité et de libertés. Sans explorer pleinement la relation entre les normes sexuelles et les MGF en Égypte, il sera difficile, si ce n’est impossible, d’éliminer cette pratique. Les mutilations génitales féminines sont une forme de violence contre les femmes. Elles sont utilisées pour exercer un contrôle sur le corps des femmes et préserver le système patriarcal actuel. Les raisons à la persévérance des MGF peuvent être interprétées sous l’angle culturel, social ou même religieux mais, au cœur du sujet, c’est fondamentalement une question de contrôle. La sexualité des femmes est perçue comme une chose qui a besoin d’être guidée et refrénée pour le bien de la société, et la croyance en cette pratique est si enracinée que même le fait de la criminaliser ne semble pas être dissuasif pour les générations futures.
Bien que de nombreuses études indiquent que les femmes sont les principales décisionnaires quand il s’agit des MGF, le petit nombre d’études ayant enquêté sur le rôle des hommes conclut que la perception des hommes de leur rôle au sein de la famille est fortement liée à la persistance des MGF. Une étude menée en 2010 en Égypte a révélé que les hommes insistaient sur le concept de « quama » en arabe, qui peut être traduit par « responsabilité », « supériorité » et « protection ». Les hommes se sentent responsables de protéger leur fille et leur femme, et les MGF sont vues comme étant une aide importante dans ce rôle. La majorité des hommes interrogés dans le cadre de cette étude croient que les femmes non excisées sont « obsédées par le sexe » et ont des attentes très fortes, ce qui peut, d’après eux, entraîner des relations extraconjugales.
Les programmes et les interventions au sein des communautés doivent travailler à briser cette perception et changer le lien étroit entre normes de masculinité, pouvoir, contrôle sexuel et MGF. À cet égard, les hommes doivent être un groupe cible prioritaire dans toutes les activités entreprises. Bien que les femmes puissent être en faveur des MGF, c’est vraiment l’opinion des hommes et leur position de pouvoir qui les perpétuent. Les plus jeunes générations d’hommes vont répéter ce qu’ont fait leurs pères, à moins que la racine du problème ne soit traitée dans les programmes de sensibilisation. Tant que le problème n’est pas abordé sous cet angle, nous ne verrons jamais la fin de cette pratique nocive.

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