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Burundi, une démocratisation génératrice de violence

La communauté internationale a indirectement contribué à faire du Burundi une démocratie de façade, aujourd’hui en proie à une crise politique, voire sécuritaire. English

Charlotte Arnaud
4 July 2014

Alors que Pierre Nkurunziza, président du Burundi, a tenté de réviser la constitution et de briguer un troisième mandat présidentiel, le pays présente des signes inquiétants d’instabilité, voire de crise politique. Si à travers son discours la communauté internationale se dit préoccupée par la situation politique, son action se concentre autour de programmes d’urgence et d’aide à la  préparation des élections générales de 2015. Ce type de programmes avait été mis en place pour les élections de 2010, mais l’instabilité politique demeure. Ainsi, le temps est peut-être venu de poser clairement la question de l’état de la démocratie au Burundi et de l’impact des programmes internationaux sur la scène politique. Quelle est la pertinence de ces programmes si les conditions politiques et sécuritaires de leur application ne sont plus respectées ?

La démocratie burundaise, mythe ou réalité ?

L’espace politique burundais se ferme et se replie autour du parti au pouvoir, le CNDD-FDD. Le gouvernement a récemment réduit le champ d’action et de libertés des partis d’opposition et de la société civile. En mars, après une violente manifestation opposant forces de sécurité et militants, le gouvernement a suspendu le MSD (Mouvement pour la solidarité et la démocratie) contraignant ainsi son président, Alexis Sinduhije, à fuir le pays. Quarante-huit militants de ce parti ont quant à eux été condamnés à la prison à perpétuité. Le parti de l’Uprona, victime de la stratégie de nyakurisation[1] mise en place par le parti présidentiel, est fragilisé et sur le point d’imploser. Quant au FNL (Forces nationales de libération), ancien groupement rebelle à majorité Hutu et signataire des accords d’Arusha en 2008, et au Frodebu, formation politique à dominance Hutu, ils s’efforcent de dénoncer les pratiques de mauvaise gouvernance et de corruption, mais sont freinés par la campagne d’intimidation politique orchestrée par le parti au pouvoir. Si la principale coalition d’opposition, ADC-Ikibiri, réunissant onze partis, dénonce publiquement la fermeture de l’espace politique et la « dérive dictatoriale »[2] du pays, elle semble toutefois dépourvue de marche de manœuvre face au CNDD-FDD, qui ne cache plus ses intentions de rester au pouvoir et semble prêt à tout pour y parvenir.

En effet, en présentant devant l’Assemblée nationale un projet de révision constitutionnelle, finalement rejeté, le président burundais a récemment fait entendre sa volonté de reconduire son mandat.[3] En parallèle, des allégations onusiennes visant son parti ont été formulées concernant des distributions d’armes destinées aux Imbonerakure, le mouvement de la jeunesse du parti CNDD-FDD. Le parti dément ces accusations mais un climat de crainte et de méfiance s’installe, alimenté par les récentes violences qui ont éclaté entre les Imbonerakure et des militants du parti d’opposition Frodebu Nyakuri.

La société civile pâtit également de ce raidissement politique et de ce changement de cap : la liberté d’expression perd du terrain face à la montée en puissance du parti présidentiel, au pouvoir depuis 2005. Les militants pour la défense des droits de l’Homme sont de plus en plus visés par le pouvoir, à l’instar de Pierre-Claver Mbonimpa, leader de l’APRODH (Association burundaise pour la protection des droits humains et des personnes détenues), aujourd’hui encore détenu à Bujumbura. Ainsi, un an avant l’organisation des élections, les conditions semblent propices à une victoire courue d’avance du parti au pouvoir. Face à ce constat alarmant, il devient légitime de s’interroger sur l’état de santé de la démocratie burundaise, incarnée par les accords d’Arusha[4] et consacrée par la mise en place du modèle consociatif de partage du pouvoir entre des communautés ethniques.

Les bailleurs de fonds au chevet d’une démocratie mourante

En 2010, le spécialiste du modèle consociatif Stef Vandeginste affirmait : « malheureusement, force est de constater qu’au niveau politique national, une autre tradition s’est fermement installée : celle de régler des conflits touchant au pouvoir politique par les armes et des violations massives des droits de l’homme ».[5] Ce constat n’a jamais été plus vrai qu’aujourd’hui : alors que le parti au pouvoir tire les ficelles du jeu politique, la démocratie burundaise semble aujourd’hui n’être que le pâle reflet de ce qu’elle fût après les élections de 2005.

Le processus électoral est lancé. L’adoption d’un nouveau code électoral, d’un code de bonne conduite ainsi que la volonté non dissimulée du président actuel de se représenter pour un troisième mandat semblent l’indiquer. Le Burundi est le premier pays de la région des Grands Lacs à entamer sa course électorale, avant la République du Congo (2016), la République Démocratique du Congo (2016) et le Rwanda (2017). Et la communauté internationale est au rendez-vous : les bailleurs de fonds apporteront leur soutien au processus électoral et devraient normalement financer jusqu’à 80 pour cent des prochaines élections.

Le programme des Nations unies pour le développement (PNUD), à travers son programme PACE 2015 (Projet d’appui au cycle électoral) dédié au Burundi, vise le renforcement des capacités organisationnelles, techniques, financières et opérationnelles des principaux acteurs inclus dans le processus électoral. Une attention particulière est de fait apportée à la CENI (Commission électorale nationale indépendante), mais aussi aux partis politiques et aux organisations de la société civile, dans le but de favoriser la tenue d’un dialogue national. L’Union Européenne soutient le PNUD dans cette entreprise, ainsi que les bailleurs bilatéraux traditionnels du Burundi, la Belgique en tête. Même si l’Union Européenne finance d’autres programmes plus holistiques,[6] à travers son programme d’appui à la CEEAC (Communauté économique des états de l'Afrique centrale) en matière de paix et de sécurité (PAPS II) elle intervient pleinement dans le domaine du cycle électoral. A travers un effort de formation, de prévention de la violence électorale et de la coopération entre parties prenantes pour l’organisation des élections, l’UE s’inscrit dans la même dynamique que le PNUD.  

S’il est certain que ces programmes ont un effet positif sur le pays, ils restent pourtant très éloignés du contexte spécifique dans lequel ils s’inscrivent. Les acteurs externes commettent trop souvent l’erreur de considérer la démocratie comme une seule et unique réalité, dont eux-seuls détiennent la clé. Une mauvaise analyse politico-sécuritaire d’un pays peut conduire à y implémenter des programmes biaisés et potentiellement perturbateurs.[7]

La « démocrature » instaurée ?

Préoccupés par l’implémentation de ces programmes, les bailleurs le semblent beaucoup moins par les impacts qu’un tel soutien pourrait avoir a posteriori sur le pays. Compte tenu du climat politique qui règne actuellement à Bujumbura, il importe de se pencher sur les possibles effets sur la scène politique burundaise. Par exemple, comment instaurer un dialogue ouvert entre parti au pouvoir et partis d’opposition alors même que ces-derniers sont opprimés et les militants emprisonnés ? Si le Président Nkurunziza se représente, en  contournant l’article verrou de la constitution qui cadre la reconduction de son mandat,[8] la communauté internationale financera des élections probablement controversées, voire dangereuses pour la cohésion nationale.

Les programmes de soutien au processus électoral comportent aujourd’hui des limites qu’il devient difficile d’ignorer. Souvent éloignés d’un contexte sécuritaire et politique spécifique, ils sont axés avant toute chose sur la recherche de résultats. Ils peuvent pousser les Etats à coller à un modèle préétabli de démocratie, donnant ainsi naissance à des démocraties de façade. Les élections peuvent en effet servir de légitimation à des régimes pourtant loin de respecter les règles rudimentaires de la démocratie, même imparfaite. N’est-ce pas le cas du Burundi ? Peut-on encore parler de liberté d’expression, de droits de l’Homme ou de pluralisme politique ? Ainsi, la mise en place de tels programmes dans un contexte de déroute politique peut donner naissance aux « autoritarismes électoraux », régimes hybrides mêlant conjointement éléments autoritaires et éléments démocratiques.[9] Si pour l’instant rien n’est certain quant à l’avenir du cycle électoral burundais, il est certain que si la communauté internationale finance les élections alors que la constitution est contournée et la démocratie mise à mal, la légitimité de son action et de ces programmes sera remise en cause.

Au lieu de recycler des programmes qui ont déjà démontré leurs limites par le passé, les bailleurs de fonds devraient les repenser dans une démarche plurielle. Pour Oliver Richmond, directeur du Centre pour la Paix et l’Etude des Conflits basé en Grande-Bretagne, il est nécessaire de repenser ces programmes qui obéissent selon lui à des concepts neutres et aculturels.[10] Dès lors, élaborer les programmes en partenariat direct avec les partis politiques et les organisations de la société civile burundaise est bien entendu la condition sine qua none à leur bon fonctionnement. En effet, les dynamiques locales, qu’elles soient sociétales, religieuses, ethniques, politiques et conflictuelles, doivent être comprises par les bailleurs de fonds et intégrées dans l’élaboration des programmes,[11] Au Burundi, les bailleurs devraient accorder autant d’importance aux élections collinaires, locales, qu’aux élections nationales. En effet, la population locale dit respecter davantage le lien collinaire, c’est-à-dire le lien local et familial, que le lien national, jugé trop lointain et abstrait. Ainsi, à court terme, le niveau de participation politique serait plus important si l’accent était mis sur l’approche locale, ce qui sur le moyen terme pourrait accroitre la « conscience politique » burundaise.

Les bailleurs de fonds devraient également se poser la question des impacts de leurs programmes sur la scène politique. En effet, il est possible que les programmes qu’ils proposent puissent involontairement contribuer à un changement de nature des régimes en place ou des intentionnalités politiques des élites. L’insécurité chronique du Burundi met ainsi en exergue les lacunes des programmes de démocratisation et de Désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) prônés par la communauté internationale et leurs impacts sur la stabilité du pays. La tentative de mettre en place un programme DDR après la signature des accords d’Arusha s’est soldée par un bilan en demi-teinte. L’échec du DDR, concrétisé par l’absence de mesures efficaces de réintégration pérenne et durable des anciens combattants dans la vie professionnelle et civile après le désarmement, explique en grande partie la reprise des armes à partir de 2011, et l’instabilité politique actuelle. Pour contrer cette dynamique d’escalade de la violence, la mise en place d’une réelle réintégration professionnelle doit accompagner les programmes de DDR ; des chantiers à haute intensité de main d’œuvre doivent être proposés et repensés.

Conclusion

Le Burundi replonge irrémédiablement dans une crise politique. Les efforts qui ont été faits durant les brèves années de paix semblent céder face au poids du passé. Les clivages ethniques réapparaissent, laissant craindre un retour de la violence. La pauvreté est plus réelle que jamais, et la démocratie semble s’incliner face au désir de pouvoir du CNDD-FDD. Pour prévenir le regain de violences au Burundi, les bailleurs de fonds doivent avant tout arrêter de penser en termes de résultats sur le court terme, repenser leur action dans une stratégie de long terme et s’interroger sur la pertinence de certains de leurs programmes.


[1] Ce terme est emprunté au Frodebu-Nyakuri, premier parti politique d’envergure secoué par une crise interne depuis l’arrivée du CNDD-FDD au pouvoir en 2005. Il désigne la manipulation de certains politiciens par le pouvoir afin de provoquer une division au sein d’un part de l’opposition.

[2] « Le gouvernement burundais réagit à la mise en garde de l'ONU », RFI, 4 juin 2014

[3] « Burundi: l'Assemblée nationale retoque le projet de révision constitutionnelle de Nkurunziza », Jeune Afrique, 21 mars 2014

[4] La signature des accords d’Arusha marque le début du processus de transition démocratique au Burundi. Si les années qui suivent la signature de l’accord sont encore rythmées par des conflits armés sporadiques,  leur intensité et le nombre de victimes décroissent.

[5] Stef Vandeginste, « Théorie consociative et partage du pouvoir au Burundi », Institut de Politique et de Gestion du Développement, Université d’Anvers, février 2006, Anvers, p8

[6] Le soutien de la communauté internationale se manifeste notamment à travers le Cadre stratégique de croissance et de lutte contre la pauvreté II (CSLP II) ou encore la Stratégie nationale de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption (SNBGLC). Ces programmes interviennent dans les domaines de l’appui à la bonne gouvernance, la décentralisation, la lutte contre la corruption et la justice transitionnelle, ainsi que les processus de RSS (réforme du secteur de la sécurité) et de DDR (démobilisation, désarmement, réintégration). En d’autres termes, ces programmes visent le maintien de la démocratie et de la paix au Burundi.

[7] Center for Security Studies « Démocratisation après les conflits : les pièges de l’influence extérieure» Politique de sécurité : analyse du CSS 79, Zurich, septembre 2010

[8] Pierre Nkurunziza a été élu une première fois au suffrage indirect par le parlement (2005) et une seconde fois au suffrage direct (2010). Il peut se représenter s’il déclare qu’il n’a été élu qu’une seule fois au suffrage direct sur les deux autorisées (article 96) ou en amendant la constitution : ce qui est légal dans la mesure où ça ne nuit pas à la cohésion nationale (article 299).

[9] Patrick Quantin, « La démocratie en Afrique à la recherche d’un modèle », La démocratie en AfriquePouvoirs 129, 2009/2, Editions du Seuil. Paris, p74

[10] Oliver P. Richmond, « Liberal peace transitions: a rethink is urgent », openDemocracy, 19 novembre 2009. “Indeed, what has become known as 'statebuilding' around the conflict-affected parts of the world today is nothing more than a grand experiment drawing on several hundred years of western political and economic experience, interests, and culture, affecting millions of people's lives often carelessly and in a way that makes little sense to them”.

[11] Pour optimiser les effets positifs de ces programmes, la démocratie doit être abordée comme une expérience plus qu’un régime politique. Une étude approfondie du contexte, des dynamiques locales ou régionales, et des rapports de force est donc nécessaire afin de mettre en place des programmes de soutien au processus électoral, ou de bonne gouvernance, adaptés.  

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